Les vieux véhicules polluent beaucoup plus que les modèles récents dans des proportions que l'on avait considérablement sous-estimées jusqu'ici. Jusqu'à 40 fois plus, a-t-on appris la semaine dernière. Cette nouvelle donne relance le débat sur la pertinence d'avoir au Québec un programme d'inspection obligatoire des véhicules, notamment des plus polluants.

Selon les données d'Environnement Canada diffusées jusqu'à tout récemment, les véhicules datant de 1995 ou antérieurs à cette date produisaient en moyenne 19 fois plus de pollution atmosphérique que ceux construits depuis 2004. Or, voilà qu'une étude menée par AirCare vient bousculer ces prétentions. Selon ce programme britanno-colombien d'inspection des émissions des véhicules, ces vieux bazous ne polluent pas 19 fois plus, mais 39 fois plus que les modèles de six ans et moins! Plus précisément, ils produisent 31 fois plus d'hydrocarbures et 58 fois plus d'azote.

Considéré comme le meilleur programme d'inspection obligatoire des émissions du pays, AirCare a comparé 133 vieux véhicules avec 15 modèles récents entre février et juillet derniers. Cet échantillon a été récupéré à la grandeur du pays, essentiellement en Colombie-Britannique, dans le cadre du programme de mise à la ferraille Faites de l'air-Adieu bazou.

Ingénieur participant à l'évaluation du programme AirCare, Stephen Stewart explique qu'Environnement Canada établit une estimation moyenne à partir d'un modèle. D'où, essentiellement, cette différence. «Il y a deux raisons à cette étude, ajoute-t-il. D'une part, il est bon de vérifier les chiffres de manière indépendante. D'autre part, on soupçonnait que les vieux véhicules étaient probablement bien pires.»

Pas une surprise

L'Association québécoise de la lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) n'est pas du tout surprise par ces nouveaux chiffres. Son président, André Bélisle, rappelle qu'Environnement Canada a toujours préféré s'en tenir à des «chiffres prudents». Selon une évaluation sommaire de l'AQLPA, près de 20% des automobiles âgées de sept ans et plus polluent trop. Uniquement au Québec, plus de 510 000 véhicules légers de plus de 15 ans circulent encore. Soit autant de sources de pollution. La Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) estime que, pas plus tard qu'en mai dernier, ceux-ci représentaient 12% du parc automobile provincial.

Derrière ces chiffres se profilent des enjeux de santé publique et environnemental. Et l'équation est simple: plus un véhicule vieillit, plus son rendement d'émissions se détériore. Cette étude d'AirCare relance donc un débat vieux de plusieurs années: à quand un programme d'inspection provincial des vieux véhicules? Et plus particulièrement un programme d'inspection de leurs émissions?

Porte-parole de la SAAQ, Audrey Chaput indique qu'il n'y a pas de dates et encore moins de projets en ce sens en préparation. Selon la SAAQ, le nombre d'accidents mortels liés à une défectuosité mécanique et à l'âge de la voiture - 2% seulement selon ses statistiques - ne justifie pas un tel programme qu'elle estime «très peu rentable», selon les termes de sa porte-parole. «Le coût d'un réseau de vérification au Québec serait particulièrement important», ajoute-t-elle.

Coroner à Drummondville, le Dr Martin Sanfaçon balaie cet argument d'un revers de main: «La SAAQ se met la tête dans le sac. Bien malin celui qui sera capable de catégoriser les accidents. Les mandataires de la SAAQ, il y en a déjà partout au Québec. Il y a des précédents en matière d'inspection, pour les véhicules d'urgence, pour les poids lourds.» Et pour les véhicules importés, peut-on ajouter.

Programme d'inspection

Également directeur médical du Service d'intervention d'urgence du Centre-du-Québec (SIUCQ), le Dr Sanfaçon a recommandé un programme d'inspection dans un rapport en août 2009. Il en a remis un autre de la même teneur au Bureau du coroner en mai dernier. «C'est le septième ou huitième rapport depuis 2003 à faire cette recommandation», soutient celui qui souhaite un programme qui garantisse que le conducteur est au volant d'un véhicule sécuritaire. Car l'enjeu concerne aussi la sécurité routière.

Un programme d'inspection ne pourrait cependant voir le jour que si le ministère de l'Environnement le désirait. «Le ministère des Transports n'a jamais été intéressé par ces questions-là», dit André Bélisle.

«Il y a un intérêt au ministère de l'Environnement pour contrer les véhicules polluants», appuie Audrey Chaput. La raison est simple. Un programme d'inspection pourrait figurer dans un plan de réduction des gaz à effet de serre. Comme cela a été évoqué au temps où Line Beauchamp était à la tête de ce ministère. À l'automne 2008, la ministre a d'ailleurs mis sur pied un comité consultatif. Les recommandations de ce comité devraient être terminées d'ici la fin de l'année.

«Il y a une motivation politique réelle, dans la même veine que celle de Mme Beauchamp, pour avoir un programme d'inspection. On souhaite aller de l'avant. Quand? Je ne sais pas précisément», affirme Sarah Shirley, attachée de presse du ministre de l'Environnement, Pierre Arcand.

Membre du comité consultatif, l'AQLPA doute que le programme voie le jour de sitôt.