L'augmentation du prix de l'essence commence à peine à inciter les automobilistes nord-américains à modifier leurs habitudes. Le gouvernement chinois, lui, a eu beaucoup plus d'effet à la fin du mois dernier: par une simple hausse du prix de l'essence, il a provoqué l'une des chutes les plus importantes du prix du baril de pétrole dans la dernière année.

Comme le prix de l'essence à la pompe et celui du baril de pétrole sont intimement liés, cela signifie qu'il faudra s'habituer à être tributaire des soubresauts des stations-services chinoises. On savait depuis longtemps que la croissance économique en Chine et dans d'autres pays en voie de développement était l'une des principales causes des hausses à la pompe plus près de chez nous. Mais rares étaient les événements - mis à part une guerre au Moyen-Orient ou une menace d'embargo contre le Venezuela - qui pouvaient imprimer des secousses aussi soudaines.

«Les subventions à l'essence et la demande en Chine sont l'un des facteurs qui influent le plus sur le prix du pétrole ces derniers temps, affirme Trevor Houser, spécialiste des questions énergétiques chinoises à l'Institut Peterson, à New York. Mais je pense que la secousse du mois dernier est le chant du cygne de la Chine. De plus en plus, l'influence prépondérante sur le prix du brut viendra des Occidentaux, et des États-Unis en particulier, qui se résigneront à réduire de façon importante leur consommation d'essence et leur niveau de vie, parce que les biens fabriqués dans les pays en voie de développement seront bientôt une chose du passé.»

Le gouvernement chinois a décidé d'augmenter d'un coup de 17% le prix de l'essence, la plus forte hausse en quatre ans. N'empêche, le litre ne coûte que 0,95 cents grâce aux subventions restantes. Cette tendance est aussi décelable ailleurs, de nombreux pays n'arrivant plus à financer les subventions à l'essence. En mai, le mensuel britannique The Economist recensait de telles hausses des prix en Indonésie, à Taiwan et au Sri Lanka. Environ la moitié de la population mondiale consomme de l'essence subventionnée.

Le problème, c'est que les variations de la demande en Chine sont devenues plus importantes qu'aux États-Unis, même si le marché y est 10 fois plus important. «Ce n'est pas une surprise, commente Samantha Gross, directrice adjointe pour les marchés pétroliers de la firme Cambridge Energy Associates. Le marché américain est deux fois plus important, mais l'augmentation de la demande en Chine est beaucoup plus forte qu'aux États-Unis. Une variation de la demande chinoise aura un impact beaucoup plus grand sur l'augmentation de la demande mondiale et donc sur le prix du brut.»

Entre 2000 et 2006, la demande américaine en essence a augmenté chaque année d'un peu moins de 200 000 barils par jour, selon l'Agence de l'information sur l'énergie du gouvernement américain. La Chine est presque deux fois plus assoiffée: actuellement, la demande augmente de 300 000 barils par jour, selon l'Agence internationale de l'énergie. Cela explique que le fléchissement de la demande nord-américaine n'a pas eu pour le moment d'effet sur le prix à la pompe et n'en aura peut-être pas, selon Mme Gross. De son côté, M. Houser prévoit qu'en 2008 la demande américaine chutera assez pour contrebalancer la soif chinoise.

L'ingénieure chimique Gross vient de publier une étude avançant que 2007 a été une pointe pour la demande d'essence américaine, qui devrait reculer dans les années à venir.

«Tous les indices pointent vers une baisse de la demande, dit Mme Gross. Le kilométrage et la consommation moyenne des nouvelles voitures diminuent sans cesse, respectivement depuis l'an dernier et depuis le début de 2008. C'est du jamais vu depuis presque 30 ans. Le kilométrage n'avait jamais baissé depuis la fin des chocs pétroliers des années 70. Et l'achat de modèles moins énergivores signifie que les consommateurs s'attendent à ce que les prix à la pompe demeurent élevés et font des achats à long terme en conséquence. Même si le prix de l'essence chute, la demande ne redémarrera pas de sitôt parce qu'il y aura sur les routes des millions de voitures neuves moins gourmandes qui ne seront pas remplacées avant plusieurs années.»