En gros, les experts se divisent en deux camps: ceux qui ne comprennent pas pourquoi les autorités tolèrent encore un comportement aussi nuisible pour la conduite, et ceux qui pensent qu’il faudrait d’abord s’attaquer à des problèmes plus graves. Par exemple, la psychologue américaine Anne McCartt estime que la vitesse excessive est plus dangereuse que le cellulaire au volant. En marge du débat, une poignée d’économistes comme M. Prieger soulignent que le cellulaire au volant a des avantages non négligeables pour la productivité et la conciliation travail-famille.

L’un des experts qu’a entendus la commission parlementaire québécoise, le psychologue Thomas Dingus de l’Université Virginia Tech, a proposé que l’interdiction des téléphones portables, avec une exception pour les modèles «mains libres», a des utilités même si les études montrent qu’ils sont tout aussi distrayants: cela permet de souligner le danger que posent les téléphones portables. Mme Singhal considère quant à elle que de telles lois instaurent un faux sentiment de sécurité chez les utilisateurs de «mains libres». À tout le moins, la loi proposée au Québec permettrait de diminuer l’irritation chez les automobilistes qui détestent les lambins accrochés à leur téléphone.

Taper et conduire

Les conversations téléphoniques ne sont pas les seules distractions au volant. Au début juin, une étude dans l’État de Washington a montré que le quart des adolescents ont déjà envoyé un message texte avec un téléphone portable tout en conduisant.

Par contre, une étude de 2005 d’un économiste de l’Université de Californie à Davis, James Prieger, affirme que les deux études de 1997 et 2004 surestiment ce risque, parce qu’elle excluait les automobilistes prudents qui parlent au téléphone. «Nous pensons que les automobilistes qui utilisent leur téléphone ont tendance à être plus prudents que la moyenne», a dit M. Prieger en entrevue électronique.

Le commentaire de l’économiste californien illustre l’un des paradoxes du cellulaire au volant: une partie de l’irritation qu’il cause chez les autres automobilistes est due à la lenteur. «Les gens qui parlent au téléphone vont généralement plus lentement, dit Deanne Singhal, psychologue de la Fondation de recherche sur les blessures sur la routes, en Ontario. Ils compensent en partie la distraction que cause le téléphone. Ils varient aussi davantage leur vitesse. C’est très irritant pour les autres automobilistes.»

En 2005, des psychologues de l’Université de l’Utah ont montré que des adolescents qui parlent au téléphone en conduisant ont un comportement très proche des automobilistes âgés de plus de 65 ans: ils vont moins vite, suivent de moins près les autres voitures, et freinent moins rapidement. Le temps de freinage est augmenté de 18%, ce qui équivaut à rouler à 47 km/h dans une zone de 40 km/h.

Selon Mme McCartt, quelques pays interdisent aussi les téléphones mains libres. Une ville de l’État de New York, Lawrence, envisage aussi une telle loi. «Le problème, c’est que ce sont des lois très difficiles à faire respecter, parce qu’il est difficile de savoir qui parle avec un mains libres», dit la psychologue américaine en entrevue depuis Washington.

La plupart des études montrent que parler au téléphone, qu’il soit mains libres ou non, ralentit les réflexes des automobilistes. Une étude de Harvard estimait en 2003 que le cellulaire cause 2600 morts par année sur la route, soit 6% de tous les accidents mortels aux États-Unis. Et deux études, l’une canadienne et l’autre australienne, ont rapporté en 1997 et 2004 que parler au téléphone quadruple le risque d’accident, à partir d’une analyse des dossiers de conduite et des factures de cellulaires d’automobilistes ayant eu des accidents.

À titre de comparaison, une alcoolémie entre 0,05 et 0,08 augmente le risque de 4,5 fois, et une alcoolémie supérieure à 0,08, de 24 fois, selon une étude de 2004 de la SAAQ.

Au début juin, le débat sur une loi interdisant le cellulaire au volant a refait surface. La commission parlementaire sur les transports de l’Assemblée nationale a recommandé d’interdire aux automobilistes de tenir un téléphone portable. Des commentateurs ont même suggéré que tous les appareils, même les «mains libres», soient bannis du siège du conducteur.

Depuis une demi-douzaine d’années, de plus en plus de pays et d’États américains ont adopté de telles lois. Quatre États américains interdisent les téléphones portables au volant, et 23 autres envisagent de le faire. À l’opposé, huit États ont interdit aux municipalités de bannir elles-mêmes les portables au volant. Une demi-douzaine d’autres États interdisent les portables seulement aux jeunes conducteurs. Au Canada, seule Terre-Neuve a pris position, en interdisant les portables au volant en 2003.

Aucune étude n’a évalué l’effet de ces lois sur la sécurité routière. Dans l’État de New York, la loi n’a eu qu’un effet temporaire, mais dans la Ville de Washington, l’effet a été durable – les automobilistes parlent moins que dans des États comparables. Cela est probablement dû au fait que la police de Washington est plus sévère, selon Anne McCartt, psychologue chargée du dossier à l’Institut d’information sur la sécurité autoroutière, organisme financé par des compagnies d’assurances américaines.