Les études démontrent que l’intérêt pour les petites voitures est «lié directement au prix actuel du carburant et à la perception des prix de l’avenir». Il n’y a pas là d’engagement à long terme envers la conservation de l’énergie, dit M. Hossack, d’AutoPacific.

«Voilà le problème des États-Unis, dit-il. Nous avons une politique d’énergie abondante et abordable pour tous — mais de grâce n’en faites pas usage. Pourquoi devrions-nous économiser?»

«C’est plus facile avec des enfants. Vous pouvez tout entasser là-dedans», affirme la directrice de ressources humaines de 44 ans. Elle conduit environ 100 km par jour, de sa résidence à l’école de ses deux enfants, puis au travail, et refait le même trajet en fin de journée. En plus de la commodité, elle se dit réticente à abandonner «la puissance et la hauteur» de l’utilitaire.

Sans espoir? Pas tout à fait...

«Même s’il est impossible de changer beaucoup les comportements à court terme, les gens changent leurs comportements à la longue si l’occasion de le faire se présente», estime le professeur Dunning. Les gens pourraient acheter une voiture moins gourmande la prochaine fois, ou les constructeurs pourraient avoir amélioré l’efficience énergétique de tous les véhicules.

Mais attendre le prochain achat de millions d’Américains est un processus lent, et leurs choix dépendront de l’acuité des prix élevés et des pénuries ponctuelles.

Les prix à la pompe oscillaient dernièrement autour de 2,90 le gallon d’essence ordinaire. Si les prix glissent à la baisse, la consommation redépassera l’économie de carburant, expliquent les spécialistes. «Plus le prix baisse, moins il y a d’intérêt pour la conservation», affirme Jim Hossack, analyste d’AutoPacific. Mais le contraire ne s’avère pas toujours: les prix plus élevés n’encouragent pas nécessairement à ralentir sur la route, un comportement susceptible d’économiser l’essence. «Je rentrais au travail ce matin et je roulais à 115 km/h dans une zone de 100, et les gens me dépassaient comme s’il n’y avait pas de lendemain. Incroyable, je roule à 15 km/h au-delà de la limite, et je retiens la circulation», sur une autoroute du sud de la Californie.

Des véhicules gros et confortables

«Les Américains ont tendance à vouloir acheter les véhicules les plus gros et les plus confortables qu’ils peuvent se payer – ils ont toujours fait ça», commente Jack Nerad, rédacteur depuis 25 ans dans des publications sur l’automobile, y compris un passage comme rédacteur en chef de Motor Trend Magazine. Il occupe présentement le poste de chef de la rédaction et analyste des prix de voitures à Kelley Blue Book.

Margaret Mitchell, de Glendale, au Maryland, partage l’avis de M. Nerad. «Mon premier amour c’est l’utilitaire», dit-elle après avoir payé 63 pour remplir le réservoir de son Lincoln Aviator à Arlington, en Virginie.

– la consommation d’essence a légèrement diminué depuis l’an dernier.

Mais même ces signes encourageants peuvent cacher une réalité plus sombre.

Cela démontre «comment les conducteurs sont insensibles, quand vous songez à quel point les prix de l’essence doivent monter pour que les gens modifient leur comportement juste un petit peu», affirme Stephen Brown, directeur de l’économie énergétique à la Federal Reserve Bank of Dallas.

La situation des prix de l’essence ressemble aujourd’hui à celle des années 70. Des pénuries se font sentir. Le président Bush dit que les Américains sont trop dépendants du pétrole et que cela doit changer. Les solutions de rechange animent les conversations. Vous penseriez que la conscience nationale passerait en mode conservation, et il y a, de fait, des signes d’un souci pour l’économie d’essence:

– les voitures qui consomment moins de carburant se vendent bien. Les constructeurs et les concessionnaires rapportent des pénuries de véhicules hybrides à essence et électricité ainsi que des Yaris de Toyota et Fit de Honda, de nouvelles sous-compactes qui affichent des consommations de 30 milles au gallon et plus en ville;

– le nombre d’usagers du transport en commun a augmenté;

Cette réaction, appelée «aversion à la perte», peut difficilement être surestimée, affirme David Dunning, professeur de psychologie à l’Université Cornell et membre du comité exécutif de la Society for Personality and Social Psychology. Dans un jugement, la menace des pertes apparaît plus grande que l’attrait des gains.

Don Nowacki en convient: «Je ne crois pas que (les prix élevés de l’essence) vont changer les comportements, du moins pas les nôtres», déclare ce retraité de 70 ans. Il se prépare à rentrer au Dakota du Sud après des vacances en Californie dans son motorisé Coachman à 10 milles au gallon (près de 24 litres au 100 km), et n’a pas l’intention de l’abandonner même si l’essence grimpe à 4 le gallon (environ 1,06 le litre).

Le dernier grand mouvement de conservation d’énergie remonte à la crise du pétrole des années 70: les gens avaient acheté des thermostats, isolé les greniers, dévissé des ampoules et même réduit les lumières de Noël. Mais surtout, ils s’étaient détournés des grosses voitures américaines en faveur des petites économiques du Japon.

«Sous plusieurs aspects, il s’agit d’un problème insurmontable. Il n’existe aucune solution simple pour convaincre les gens de changer leurs habitudes de conduite», explique Nick Epley, psychologue et professeur adjoint des sciences du comportement à l’École supérieure de commerce de l’Université de Chicago.

«Les gens s’adaptent à toutes sortes de situations, positives et négatives, et plus rapidement qu’ils pourraient le croire, dit-il. Si le prix de l’essence montait de 2 à 3 le gallon en une nuit, il y aurait une levée de boucliers. Mais s’il augmente de quelques cents à chaque visite à la pompe, vous arrivez vite à 3 et les gens disent: eh oui, c’est ce que coûte l’essence.»

«Et les pratiques de conservation sont difficiles. Ça exige de perdre quelque chose, de se départir un peu de notre mode de vie», ajoute-t-il.

Les Américains ne réduiront probablement pas leur consommation d’essence en dépit des prix élevés – une perspective surprenante dans le contexte d’une demande pressante de voitures économes en combustible, du débat généralisé sur les solutions de rechange à l’essence et de la colère suscitée par l’envoi de pétrodollars à des pays riches en pétrole mais hostiles aux États-Unis.

Plusieurs motifs expliquent cette réticence, mais deux facteurs très humains semblent dicter ce comportement, disent les psychologues: d’abord, nous devenons habitués aux prix élevés s’ils augmentent progressivement; ensuite, la peur de perdre un acquis reste plus puissante que les avantages d’une solution de rechange.

En combinant ces diagnostics aux sondages qui démontrent que notre intérêt pour l’économie de carburant varie avec les prix de l’essence au lieu de devenir une préoccupation constante, il est raisonnable de croire que les Américains ne réduiront pas leur consommation d’essence, du moins pas à court terme.