En d’autres mots, l’augmentation du nombre d’accidents aux passages peints est peut-être contrebalancée par un confort plus grand chez les 99,9998 % de piétons qui traversent indemnes.

Selon Martin Hétu, ingénieur en circulation chez Genivar, les passages piétonniers sont particulièrement mal adaptés aux rues larges. «J’ai vu l’autre jour un passage sur René-Lévesque, à un endroit où il y a six voies, indique M. Hétu. C’est tout à fait ridicule, le piéton n’a jamais le temps de traverser, même s’il y a un terre-plein au milieu.»

Dans son étude, Mme Mitman, de Berkeley, se penchera sur 12 paires de passages piétonniers, certains comportant des lignes peintes sur la chaussée, d’autres un simple panneau. «Nous allons étudier une foule de variables, dit Mme Mitman. Par exemple, le type de voiture qui s’arrête, l’âge du piéton, le fait qu’il y ait un contact visuel entre le piéton et l’automobiliste. L’une de nos hypothèses est que les piétons et les enfants sont particulièrement susceptibles d’emprunter les passages piétonniers. Or, il s’agit d’une clientèle plus vulnérable aux accidents. Elle fait peut-être augmenter le taux d’accidents.»

À l’Université Laval, le professeur Guy Paquette, qui étudie les stratégies de communication en sécurité routière, n’est pas convaincu que les passages piétonniers peints soient dangereux. «J’ai fait une étude il y a une quinzaine d’années sur les impacts de diverses traverses piétonnières, dit M. Paquette. Le simple fait de peindre un large couloir sur la chaussée améliorait le confort de la traversée : réduction du temps d’attente, accélérations, décélérations, conflits, arrêts, entre autres.»

L’étude la plus importante a été faite par un ingénieur de l’Université de Caroline du Nord en 2002, à partir d’un échantillon de 2000 intersections, suivies pendant cinq ans. L’étude n’a pas démontré de différence pour les rues à deux voies, comme l’avenue du Mont-Royal ou la rue Sainte-Catherine, en ce qui concerne la fréquence des accidents de piétons. Mais pour les rues plus larges, comme le boulevard Saint-Joseph ou l’avenue du Parc, le risque d’accident est quatre à cinq fois plus élevé.

Cela dit, ce risque reste faible. Le risque le plus élevé dans l’étude est de 1,37 par un million de traversées de la part de piétons, pour les rues larges (plus de deux voies) ayant un débit de plus de 15 000 voitures par jour.

Un terre-plein diminue les risques, mais les passages peints demeurent cinq fois plus dangereux. Fait à noter, un terre-plein est particulièrement efficace, pour protéger les piétons, dans les rues larges mais moins fréquentées (moins de 15 000 voitures par jour). Pour les passages piétonniers, le risque diminue de 0,63 à 0,17 par million de traversées.

Les passages piétonniers sont dangereux parce qu’ils donnent un faux sentiment de sécurité aux piétons, concluent plusieurs recherches récentes. Comparé aux piétons qui traversent à l’extérieur des passages, ceux qui les empruntent ont jusqu’à cinq fois plus de risque de se faire heurter.

«C’est un débat qui dure depuis les années 70», explique Meghan Mitman, spécialiste des transports de l’Université de Californie, à Berkeley, qui dirige une grande étude sur le sujet. «Les chercheurs n’arrivent pas à croire que peindre un passage piétonnier n’accroît pas la sécurité des piétons. Mais il semble bien qu’au contraire, ce soit plus dangereux, à tout le moins pour les rues assez larges. Les piétons ont un faux sentiment de sécurité, et les automobilistes ne sont pas particulièrement intimidés par des lignes peintes sur la chaussée.»En Suède, les autorités ont carrément décidé d’effacer les passages piétonniers, dit Andras Varhelyi, qui a fait plusieurs études sur cette question à l’Université de Lund. «On ne garde que les passages qui ont des protections physiques, comme ceux surélevés, explique M. Varhelyi. Les études montrent bien que les passages peints sont dangereux pour les piétons.»

Ces résultats sont d’autant plus surprenants que plusieurs études ont montré que le risque d’accidents diminue quand la densité de piétons augmente. Comme on peut s’attendre à ce qu’il y ait une densité plus grande de piétons sur les passages piétonniers, l’effet néfaste de ces derniers doit être particulièrement important.