Ce n'est pas souvent qu'on vous parle d'automobiles françaises, et c'est donc un peu par hasard que l'histoire de la Renault Dauphine de lundi dernier est suivie d'une autre histoire française, qui date cette fois du début du XXe siècle.

Ce n'est pas souvent qu'on vous parle d'automobiles françaises, et c'est donc un peu par hasard que l'histoire de la Renault Dauphine de lundi dernier est suivie d'une autre histoire française, qui date cette fois du début du XXe siècle.

Le sujet m'est venu lors de mon pèlerinage annuel à Lime Rock, au Connecticut, où a lieu tous les ans une belle fête de l'automobile classique, assortie d'une exposition de voitures historiques d'exception commanditée par Rolex. En vedette cette année: la course Paris-Madrid de 1903.

Nous sommes donc aux premières heures de l'automobile, mais déjà, l'esprit de compétition qui caractérise l'espèce humaine s'est emparé de ce nouveau mode de locomotion. Quelques années auparavant, le comte Albert de Dion et Georges Bouton, un ingénieux fabricant de jouets, s'étaient lancés dans la construction de tricycles à moteur à essence. Dès 1904, De Dion-Bouton avait produit 40 000 moteurs vendus à d'autres constructeurs un peu partout dans le monde. C'est aussi à la même époque que le Montréalais Ucal-Henri Dandurand se procurait une De Dion-Bouton 1902 propulsée par le même monocylindre. La «Vis-à-vis», aujourd'hui exposée au Musée du Château Ramezay, rue Notre-Dame, à Montréal, est la première voiture immatriculée au Québec et porte encore la plaque Q1 peinte à la main.

Place importante

Un peu plus à l'ouest, à Detroit, Henry Ford fonde la société qui porte son nom et invente la célèbre chaîne de montage. Tant pour Ford que pour De Dion-Bouton et bien d'autres, la course occupe une place très importante. En 1902, lorsque l'Automobile-Club de France décide de tenir une course automobile entre Paris et Madrid, les participants se font nombreux tant parmi les principaux constructeurs que chez les amateurs.

Rappelons qu'à l'époque, les circuits de course n'existent pas et ce sont les épreuves comme le Paris-Vienne et le Paris-Berlin qui dominent. Le succès auprès du grand public est immense, et les spectateurs se font de plus en plus nombreux le long des routes, comme pour le Tour de France cycliste.

Performance remarquable

Les premières années, les courses se déroulent sans heurts, étant donné leur popularité naissante et la vitesse relativement faible des voitures. Mais très rapidement, les foules se multiplient et les vitesses augmentent, ce qui présente de sérieux risques.

C'est donc dans ce contexte que le Paris-Madrid est lancé le dimanche 24 mai 1903, à Versailles. Les 315 participants inscrits, dont 47 motocyclistes, doivent se frayer un passage sur des routes en terre battue et soulèvent d'immenses nuages de poussière.

Parti deuxième, Louis Renault, fondateur de la société du même nom, arrive le premier à Bordeaux après 5 heures, 29 minutes et 39 secondes, ayant atteint 140 km/h en vitesse de pointe au volant de sa Renault 30 HP. Plus impressionnant encore, Fernand Gabriel, sur son "torpilleur Mors": parti 82e, Gabriel se classe premier avec un temps de 5 heures, 13 minutes et 31 secondes, soit une moyenne de 105 km/h sur le parcours de 552 km, une performance tout simplement remarquable.

À deux doigts des bolides

On estime à deux millions le nombre de spectateurs qui s'amassent le long des routes reliant Paris à Bordeaux. La foule est tellement abondante par endroits que les pilotes se plaignent âprement de tous ces gens qui se tiennent parfois à deux doigts des bolides roulant à plus de 100 km/h. Mais tant les autorités que le public sont inconscients du danger qui guette. Et ce qui devait se produire tôt ou tard survient: une série d'accidents catastrophiques qui se traduisent par plusieurs morts et des dizaines de blessés. Parmi les victimes, Marcel Renault, frère de Louis, dont la voiture termine sa course dans un ravin.

Devant l'hécatombe, les autorités interviennent finalement et mettent un terme à la course à Bordeaux. L'indignation générale est si grande que les équipages ne sont même pas autorisés à revenir chez eux par la route. La France interdit du même coup les courses sur routes publiques. La formule sera rétablie quelques années plus tard, une fois adoptées les premières consignes de sécurité dans le domaine du sport automobile. Notons que les responsables sportifs avaient déclaré avant la course: «Le service d'ordre sera bien organisé et les conducteurs sont expérimentés. Nous prévoyons moins de quatre tués, passants ou chauffeurs... De toute façon, la course doit avoir lieu car une grande épreuve annuelle est nécessaire à l'industrie automobile. Le gagne-pain de 25 000 travailleurs en dépend.» Autre époque, autres moeurs.

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DANS LE RÉTROVISEUR DE LA DE DION-BOUTON

La même année (1903)

» Le Panama déclare son indépendance de la Colombie.

» Le roi Alexandre de Serbie et sa femme sont assassinés au palais royal par une conjuration d'officiers nationalistes.

» Henry Ford fonde la Ford Motor Company.

» Le premier voyage transcontinental en voiture entre San Francisco et New York se fait en 52 jours.

» Selon le recensement de 1901, le Québec compte 1 648 898 habitants (à l'exclusion des autochtones) et le Canada moins le Québec en compte 3 722 417.

» Prix Nobel de science : Henri Becquerel (France) et Pierre et Marie Curie (France).

» Les frères Wright marquent l'histoire de l'aviation avec le premier décollage d'un «plus lourd que l'air» à Kitty Hawk, en Caroline du Nord.

Pour joindre notre collaborateur: alain.raymond@lapresse.ca