En 1993, Jan Raemakers s'est embarqué dans une expérience très particulière. Un beau soir, il a rencontré un «cobaye», un jeune étudiant dans la vingtaine, devant l'Université de Maastricht où M. Raemakers enseigne la psychopharmacologie. Il lui a remis un joint dont la composition en THC avait été soigneusement mesurée. L'étudiant a fumé la cigarette de cannabis au complet. Puis, M. Raemakers lui a remis les clés d'une Volvo station wagon, et lui a demandé d'aller conduire sur l'autoroute voisine.

En 1993, Jan Raemakers s'est embarqué dans une expérience très particulière. Un beau soir, il a rencontré un «cobaye», un jeune étudiant dans la vingtaine, devant l'Université de Maastricht où M. Raemakers enseigne la psychopharmacologie. Il lui a remis un joint dont la composition en THC avait été soigneusement mesurée. L'étudiant a fumé la cigarette de cannabis au complet. Puis, M. Raemakers lui a remis les clés d'une Volvo station wagon, et lui a demandé d'aller conduire sur l'autoroute voisine.

Cette étude est la seule au monde à avoir rigoureusement testé l'impact du cannabis sur la conduite en situation réelle. «Bien sûr, ce n'est pas un hasard qu'elle ait eu lieu ici, dans un pays qui est relativement tolérant envers l'usage de cannabis, explique M. Raemakers. Mais je pense qu'il s'agit aussi d'une question d'assurances. Aux États-Unis, les chercheurs n'en trouveraient tout simplement pas. Alors il leur faut utiliser des simulateurs de conduite.»

L'étude a permis à M. Raemakers de vérifier la véracité de l'un des mythes les plus répandus à propos du cannabis: celui voulant que les automobilistes intoxiqués ne posent pas de danger parce qu'ils vont plus lentement. «Peut-être que les fumeurs de cannabis posent moins de dangers pour les autres automobilistes que les personnes qui boivent trop d'alcool, dit M. Raemakers. Mais ils ont beaucoup de difficulté à suivre la route des yeux. Ce problème est l'une des principales causes d'accidents n'impliquant qu'un seul véhicule.»

La sélection des 18 cobayes, âgés de 20 à 28 ans, a été minutieuse: il fallait qu'ils aient une bonne expérience de conduite, et qu'ils n'aient pas de condamnation pour trafic de drogue - leur casier a été vérifié par les autorités hollandaises. La seule autre étude de conduite réelle sous l'influence du cannabis, faite aux États-Unis voilà plus de 30 ans, ne mesurait même pas le taux de THC des cigarettes. Plusieurs des quelques autres études sur route, réalisées en circuit fermé, ne mesuraient pas non plus le THC. Les cobayes étaient accompagnés d'un instructeur de conduite qui avait des freins de secours à sa disposition, comme dans les autos-écoles. Ils n'ont jamais servi, même si les cobayes sous l'influence du cannabis freinaient en retard.

Au Québec, la SAAQ a publié en 2004 une étude montrant que le cannabis augmentait de deux fois le risque d'accident mortel, alors qu'une alcoolémie de 0,08 l'augmentait de 24 fois. Le cannabis mélangé à une alcoolémie de 0,08 augmentait le risque de 200 fois.

La plupart des études sur le cannabis et la conduite ont un problème fondamental, selon M. Raemakers. «On ne sait pas toujours la quantité de THC qu'il y a dans les cigarettes. Et surtout, on ne sait pas quelle est une quantité «normale» de THC dans le cadre d'une consommation habituelle. Donc, nous ne savons pas quelle est l'ampleur du problème du cannabis au volant. Cela pose aussi un problème fondamental pour une application éventuelle de ces recherches par les policiers: quel sera le taux de THC qui sera jugé illégal? La plupart des pays occidentaux permettent une certaine quantité d'alcool dans le sang. Si on veut introduire des détecteurs de cannabis, il faudra déterminer quelle quantité sera légale. Sinon, on risque d'avoir des tests positifs chez des automobilistes qui sont parfaitement en état de conduire.»

Les études de M. Raemakers montrent que les effets du cannabis sur la conduite apparaissent à partir de deux nanogrammes par millilitre de sang. «Il suffit d'une simple bouffée de cannabis pour atteindre ce niveau, dit M. Raemakers. Mais le taux redescend plus rapidement si on n'a pas beaucoup fumé. Pour une intoxication «normale», il faut environ deux à trois heures pour redescendre en deça de ce niveau.» Ce qui est une différence importante par rapport à l'alcool, dont on peut prendre une ou deux portions avant d'atteindre le 0,08. La courbe descendante est par contre similaire: il faut en moyenne une heure pour éliminer une portion d'alcool. Donc, si on a pris deux ou trois verres de trop (de trois à cinq consommations pendant un repas de deux heures), on doit attendre deux à trois heures pour redescendre sous le 0,08.

Le psychologue Raemakers n'est pas très optimiste quant aux détecteurs de cannabis. «Ils ne fonctionnent bien qu'avec le sang, une technique impossible à appliquer sur la route, dit-il. Il est peu probable que nous arrivions à détecter de manière fiable le cannabis dans l'haleine, mais il y a une possibilité avec la salive. Et de toute façon, les tests portatifs, qui pourraient être utilisés par les policiers, sont très loin d'être prêts: pas avant cinq ans, au minimum. Pour le moment, il vaut mieux utiliser des techniques comportementales, comme demander à l'automobiliste de marcher sur une ligne droite, et regarder la dilatation de ses pupilles. Il y a aux États-Unis et en Europe des programmes de formation de policiers à ces techniques qui ont donné de bons résultats.»

Pour joindre notre journaliste: mathieu.perreault@lapresse.ca