Personne n'ose trop aborder le sujet du ralentissement des ventes de customs. C'est délicat: on parle, après tout, de plus de la moitié du marché de la moto de route. Mais ce ralentissement est bel et bien réel et, même si les ventes n'ont pas encore chuté de façon irréparable, le simple fait que celles-ci ne croissent plus suffit pour sérieusement inquiéter l'industrie.

Alors que la difficile situation économique actuelle représente la cause la plus souvent avancée pour expliquer ce phénomène, un second facteur, celui-là peut-être encore moins tangible que le premier, est aussi responsable de ce déclin. Il s'agit de la stagnation de la custom.

 

L'audacieuse tentative qu'est la Honda Fury 2010 a comme mission de contourner cette espèce d'impasse stylistique dans laquelle l'univers custom se retrouve aujourd'hui, impasse essentiellement due au manque de créativité dont font preuve la plupart des firmes qui offrent ce genre de moto.

Le problème est relativement simple: les customs de l'ère moderne sont une création de Harley-Davidson. La soudaine popularité, à la fin des années 80, des produits de Milwaukee a poussé bon nombre de constructeurs rivaux à multiplier l'introduction d'«équivalents». Or, à quelques exceptions près, ces modèles se ressemblent tellement qu'un observateur non initié peine souvent à les distinguer les uns des autres. Cette similitude profonde entre les modèles et cette quasi-absence d'évolution stylistique - malgré un bon quart de siècle de production - semblent ainsi avoir leur part de responsabilité dans le ralentissement présent des ventes de customs.

Jusqu'à aujourd'hui, à l'exception du prototype-devenu-moto-de-production qu'est la Rune, les récentes customs Honda ont été l'exemple parfait de cette stagnation, le constructeur nippon proposant une ligne sympathique, mais aucunement surprenante.

La nouvelle Fury, elle, est bouleversante.

Elle l'est d'abord pour Honda. Le coup de crayon de la Fury, très osé pour un grand constructeur, aurait logiquement dû être signé par n'importe qui sauf par Honda, dont l'image et les produits ont dernièrement été plus conservateurs que jamais.

Mais la Fury est surtout bouleversante parce qu'elle ose faire ce que nul n'a jusqu'à maintenant risqué d'entreprendre: amener sur le marché «grand public» un style et une architecture de châssis venus non pas de la rue, mais plutôt du fond des ateliers les plus douteux de l'histoire de la moto. Car l'origine du mythique chopper, que la Fury imite visuellement si bien, n'a rien de très classique ou distingué.

D'autres constructeurs se sont vaguement inspirés du thème du chopper avec certains modèles. La Fury, elle, EST un chopper. Même les artisans qui construisent aujourd'hui ces motos une à une pour les vendre à prix fort se disent impressionnés par la justesse de l'image générale créée par la nouveauté de Honda. La très longue fourche, l'angle de direction extrême et l'espace entre l'avant et le long réservoir qui pointe littéralement vers le ciel sont autant de caractéristiques qui donnent à la Fury son authenticité visuelle.

Alors que de telles extravagances stylistiques génèrent habituellement une tenue de route médiocre, dans le cas de la Fury, on a plutôt droit à des manières rappelant beaucoup celles d'une custom tout à fait commune. La stabilité est bonne, la direction est légère, le comportement en courbe est décent, les suspensions travaillent correctement. Même la position de conduite n'a rien d'exagéré. Honda a donc ni plus ni moins éliminé tous les défauts de comportement qu'on croyait inhérents à ces motos.

La Fury étant mue par le V-Twin de la VTX1300, l'un des customs de la gamme Honda, elle réserve également peu de surprises au plan mécanique mais propose plutôt une puissance satisfaisante et utilisable, à défaut d'être impressionnante.

En fait, tant au chapitre de la mécanique que de la conduite, l'expérience que réserve la Fury est très semblable à celle qu'offre une custom «normale» de cylindrée similaire. Non pas qu'une telle conclusion soit négative, bien au contraire, mais s'attendre à quoi que ce soit de vraiment particulier en matière de pilotage équivaudrait à se créer de fausses attentes.

Exception faite de l'exorcisme du comportement démoniaque associé aux choppers traditionnels, la Fury n'amène ainsi rien de nouveau d'un point de vue technique et se résume d'abord et avant tout à un exercice stylistique. Celui-ci n'est pas qu'osé; il est aussi absolument réussi puisqu'il brise de manière aussi indiscutable qu'élégante la monotonie qui s'est tranquillement mais sûrement installée dans le genre custom. Arrivera-t-elle à renverser la vapeur et à générer un intérêt nouveau chez les amateurs de customs?

Bertrand Gahel est l'auteur du Guide de la moto.

 

FICHE TECHNIQUE

Honda, FURY

Prix: 16113$

Garantie: 1 an/kilométrage illimité

Moteur: bicylindre en V SACT de 1312 cc refroidi par liquide

Transmission: à 5 rapports

Poids: 302 kg (en ordre de marche)

Frein avant: 1 disque avec étrier à 2 pistons

Frein arrière: 1 disque avec étrier à 2 pistons

Pneu avant: 90/90-21

Pneu arrière: 200/50-18