Une «boîte noire» pourrait-elle dédouaner un automobiliste jugé fautif après un accident? Oui, si l'on se réfère à l'expérience vécue récemment en Suisse par une jeune conductrice. Pas vraiment, si l'on se réfère au Québec.

Une Zurichoise de 22 ans a été blanchie, le mois dernier, de toute responsabilité dans un carambolage impliquant trois voitures. Prise en sandwich sur la route en octobre dernier, la jeune automobiliste était à l'origine de l'accident, selon le rapport de police. Six mois plus tard, elle a été innocentée grâce aux données enregistrées dans la «boîte noire» installée à bord de son véhicule. Pour la première fois en Suisse, un «enregistreur de collision» venait de prouver l'innocence d'un usager de la route, la jeune femme échappant alors aux sanctions.

 

Peut-on connaître pareil cas au Québec?

 

En cas de blessures, «dans un régime où une victime peut poursuivre l'autre, ces données pourraient être intéressantes. Au Québec, vu notre régime, où il n'y a pas de droits de poursuite (NDLR: au civil), cela n'a pas d'utilité», explique Gino Desrosiers, porte-parole de la Société d'assurance automobile du Québec.

 

En cas de dommages matériels, ces enregistreurs de données ne seraient pas utilisés non plus au Québec, si l'on en croit les assureurs. «On n'y voit pas une très grande utilité, les assureurs n'utilisent pas cela au Québec. En cas de contestation, il y a un conseil d'arbitrage. Si vous n'êtes pas satisfait, vous avez un recours contre votre assureur seulement», dit Anne Morin, responsable des affaires publiques au Bureau d'assurance du Canada.

 

Si l'établissement d'une responsabilité ne satisfait pas un automobiliste qui s'estime lésé, ce dernier peut, à la rigueur, présenter en tant que preuve auprès de l'assureur les données d'un enregistrement. Il pourrait ultimement en faire de même auprès d'un tribunal, si l'arbitrage ne le satisfaisait pas.

 

Il ne faut pas oublier qu'au Québec, pour un sinistre en dommages matériels, ce n'est pas la police qui détermine la responsabilité d'un accident, mais les assureurs, rappelle Anne Morin.

 

Preuve de culpabilité

 

Pour déterminer les causes d'un accident, les forces de police peuvent «légalement utiliser le module de déploiement du coussin gonflable», dit Martine Isabelle, porte-parole de la Sûreté du Québec. «C'est un outil qui permet de corroborer les éléments recueillis sur une scène de collision», ajoute sa consoeur au Service de police de la Ville de Montréal, Annie Lemieux.

 

Ce module contrôle normalement le déploiement du coussin. Depuis plusieurs années, des constructeurs lui intègrent un «enregistreur de données d'événements» (ou EDR, pour event data recorder). Le module est alors capable de fournir la vitesse, le régime du moteur, le pourcentage de dépression de l'accélérateur, le degré d'enfoncement de la pédale de frein, le nombre de fois où le moteur a été démarré et l'information selon laquelle la ceinture était bouclée ou non, le tout dans les cinq secondes précédant l'impact. «S'il n'y a pas de collision, il n'y a pas de données d'enregistrées», précise Julien Dufort, ingénieur membre de l'équipe de sécurité routière de l'École polytechnique de Montréal.

 

En 2003, à Montréal, un automobiliste a été déclaré coupable de conduite dangereuse ayant causé la mort d'un autre usager de la route. La preuve la plus évidente a été l'enregistrement du module de déploiement du coussin gonflable de la voiture de l'accusé.

 

Si toutes les voitures ne sont pas encore équipées d'un module comprenant un EDR, on en trouve tout de même sur des millions de véhicules aujourd'hui. Ils équipent tous les modèles neufs de General Motors et de Toyota, pour ne citer que ceux-là. Depuis 1998 pour les premiers modèles de GM, depuis l'année modèle 2007 pour le constructeur nippon.

 

 

Ces enregistrements peuvent être réclamés dans le cadre d'une campagne de rappels majeure. Durant la tempête traversée que l'on sait, Toyota Canada a fini par fournir à Transports Canada un lecteur d'EDR.

 

Pour l'anecdote, on ne devrait donc pas parler de boîte noire pour qualifier ce genre d'équipement, car contrairement aux boîtes des avions, le trajet complet et les conversations à bord ne sont pas enregistrés. Du moins pour le moment...

 

Pas de règlement au Canada

 

La présence sur un véhicule d'un « enregistreur de données d'événements » n'est pas réglementée au Canada.

 

«Les normes techniques de conception et leur norme de rendement ne sont pas réglementées, précise Patrick Charette, gestionnaire relation médias de Transports Canada. Nous n'intervenons pas. Certains constructeurs peuvent doter leurs véhicules de tels enregistreurs, mais une telle action n'est régie par aucun règlement au Canada.» Pas plus que l'installation d'enregistreur après l'achat du véhicule.

 

En Amérique du Nord, aucune loi oblige actuellement à équiper les véhicules d'un enregistreur de données d'événements (EDR). «Il existe par contre un règlement de la National Highway Traffic Safety Administration aux États-Unis qui stipule que tout constructeur équipant ses véhicules d'un EDR doit commercialiser d'ici 2012 un outil de lecture EDR», a rappelé le 16 mars Stephen Beatty, directeur gestionnaire principal de Toyota Canada, devant le Comité permanent des transports, de l'infrastructure et des collectivités. D'autant plus que ces EDR seraient obligatoires aux États-Unis l'an prochain.

 

À la Société d'assurance automobile du Québec, on affirme qu'il n'y a pas «d'interdiction ou de position officielle en regard de cet équipement».

 

«La seule exigence est que cela ne doit pas nuire au bon fonctionnement et à la sécurité du véhicule», précise Gino Desrosiers, porte-parole de la SAAQ.

Photo André Tremblay, archives La Presse

En cas de dommages matériels, les enregistreurs de données ne seraient pas utilisés au Québec, si l'on en croit les assureurs.