Ford Cisitalia 808 XF 1952: retour aux sources d'une voiture historique

Elle aurait pu devenir la toute première voiture sport de Ford. Elle a été écartée et est tombée dans l'oubli, au point où les dirigeants actuels du constructeur américain ignoraient son existence jusqu'à il y a peu. La Ford Cisitalia 808 XF vient de faire son retour en Italie, 58 ans après qu'elle eut été présentée pour la première fois à New York. Un retour emblématique pour une voiture historique au destin peu ordinaire.

Urs Jakob a toujours eu pour ambition de participer à un rassemblement d'envergure en Europe. Depuis la fin de la semaine dernière, c'est chose faite pour ce collectionneur et sa voiture, qui viennent de prendre part au prestigieux Concorso d'eleganza Villa d'Este, au nord de Milan, la Mecque des voitures historiques. Un voyage synonyme de retour aux sources pour son automobile dénichée en 2001 chez Cosmopolitan Motors, à Seattle.

 

Le jour où il se décide, Urs Jakob n'est pas certain de son achat. «On savait que c'était une Cisitalia avec une coque Vignale et qu'il y avait un lien avec Ford, mais rien de plus», dit ce Montréalais d'adoption.

 

Après des mois et des mois de recherche, il découvre grâce à la bibliothèque Henry Ford, à Dearborn, au Michigan, que celle-ci est un prototype unique, fruit d'une collaboration entre l'Américain Ford et l'Italien Cisitalia, constructeur - éphémère - de voitures sport.

 

Documents en tout genre sous le bras, M. Jakob fait ensuite appel à Richard Grenon, à qui il confie la restauration de sa décapotable. Dans son atelier de Sainte-Anne-de-Bellevue, le mécanicien de métier et restaurateur de longue date consacre 2 ans et 5000 heures de travail à la voiture. «Elle était dans un piètre état, le bas des portes, de la caisse et des ailes était pourri, témoigne-t-il. Il y avait beaucoup de travail à faire sur le châssis.»

 

Le résultat est aujourd'hui séduisant. Sa ligne, sa peinture deux tons - plus claire sous une baguette chromée - et, surtout, son énorme grille la distinguent. La barre horizontale qui traverse celle-ci en son centre ressemble à une hélice d'avion. Sous le capot, on trouve un 6-cylindres Mercury accompagné d'une transmission automatique Ford-O-Matic à 2 vitesses. «Une voiture prototype à restaurer, ce n'est jamais terminé», indique M. Grenon.

 

 

Histoire atypique

 

L'acquisition d'Urs Jakob - qui possède également l'unique version coupé - n'est pas banale en soit. Sa Ford Cisitalia 808 XF aurait pu passer à l'histoire comme étant la toute première voiture sport de Ford.

 

En 1951, Ford et Cisitalia (Consorzio Industriale Sportiva Italia) scellent un accord sur le partage de la réalisation d'un modèle sport. Concepteur de la carrosserie, Cisitalia devait initialement construire les voitures à Torino en utilisant les moteurs (V6 et V8 prévus), les boîtes de vitesse et les suspensions de Ford. Celui-ci devait mettre en vente sur le marché américain la 808 XF, tandis que Cisitalia devait le faire en Europe. Un an plus tard, Henry Ford II est séduit par le premier prototype qui arrive à New York. Ses ingénieurs le sont beaucoup moins. Si l'esthétique leur paraît excellente, des «vices» soulèvent des doutes. Pédale de freins trop près de l'accélérateur, pare-chocs trop minces, volant trop large, accès au réservoir d'essence dans le coffre, fenêtres et poignées de porte extérieures inexistantes sont quelques-uns des griefs.

 

Cisitalia revient en 1953 avec deux autres prototypes, une décapotable et un coupé. Certaines anomalies n'ont pas été corrigées. Alors que Ford a adopté la production en série depuis fort longtemps, les Italiens s'en tiennent à la production artisanale. Leur capacité de production est nettement insuffisante pour Ford. Le projet s'éteint de sa belle mort.

 

D'aucuns pensent que les dés étaient alors pipés. «Ford a su que Chevy préparait la Corvette et a pris conscience qu'il ne la concurrencerait pas avec la Cisitalia», explique Urs Jakob. La conception d'une voiture sport biplace avait déjà été approuvée. Il s'agissait de la Thunderbird. La suite, on la connaît.