Les chauffeurs de taxi devraient être les premiers ravis par l'arrivée des voitures électriques sur les routes du Québec. Fini les factures d'essence, bonjour la hausse des profits. Ce n'est pourtant pas demain la veille qu'ils feront le grand saut.

«Tout le monde en a envie: les chauffeurs ont les yeux brillants lorsqu'ils parlent de la voiture électrique, mais à moins de profiter de subventions extraordinaires, elle coûtera beaucoup trop cher à l'achat», dit Dory Saliba, président de Taxi Hochelaga.

Si le parc de véhicules était plus important, comme à New York, les chauffeurs pourraient se regrouper pour lancer un appel d'offres à un constructeur automobile et espérer des rabais, croit M. Saliba. Mais dans les conditions actuelles, il prédit que les chauffeurs continueront d'opter de manière quasi systématique pour des voitures d'occasion.

M. Saliba ne connaît aucun chauffeur songeant sérieusement à s'acheter une voiture électrique. Ils sont d'ailleurs bien peu nombreux à avoir fait le saut vers un modèle hybride depuis leur arrivée sur le marché canadien. Taxi Hochelaga n'en compte qu'une dizaine sur plus de 450 voitures. Taxi Diamond n'en recense qu'un seul sur un millier! «Ce n'est pas l'intérêt qui fait défaut, assure Dominic Roy, président de Taxi Diamond. Mais les temps sont très durs dans notre industrie et les économies à la pompe ne compensent pas encore la différence à l'achat.»

Autre frein au verdissement: la rareté du nombre de bornes électriques et les délais requis pour recharger les batteries. Plusieurs chauffeurs se partagent généralement un même volant. Les voitures circulent donc sans interruption ou presque.

«C'est dommage, dit M. Saliba. Ce serait très bon pour l'image de l'industrie.»

Dans les garages

La vague électrique risque donc d'avoir plus d'impact dans les garages, alors que les mécaniciens verront nécessairement défiler de plus en plus de ces modèles. Les écoles ne veulent pas rater le bateau. L'École des métiers de l'équipement motorisé de Montréal (EMEMM) a envoyé une équipe de professeurs suivre des formations aux États-Unis. Puis elle a acheté huit voitures hybrides, toutes gravement accidentées, que les professeurs et leurs élèves ont retapées d'un parechoc à l'autre.

Chaque étape a été filmée pour préparer une série de cours offerts aux élèves de l'EMEMM et aux garagistes indépendants aguerris. Entre la Camry hybride, la Toyota Prius, la Chevrolet Volt, «nous avons des exemples de presque toutes les technologies électriques», indique Serge Gauthier, directeur de l'EMEMM. Ne manque plus qu'une Nissan Leaf, que M. Gauthier aimerait bien ajouter à sa collection dès cette année. Si le budget le permet.

La formation n'est pas encore obligatoire, cela dit. Et elle reste principalement axée sur les notions de sécurité et d'entretien régulier. Les garagistes indépendants «ne sont pas prêts» pour l'arrivée de l'automobile électrique, dit ainsi André Sansregret, président de l'Association des spécialistes pneu et mécanique du Québec.

Même son de cloche du côté de CAA-Québec. «L'industrie est en retard», dit Pierre Beaudoin, directeur principal des services techniques. Du coup, dit-il, les garagistes indépendants s'en tiennent aux travaux plus conventionnels (pour les hybrides, changements d'huile, de pneus, etc.) et les concessionnaires récoltent le gros des contrats. Il faut dire que l'industrie est jeune, une proportion importante des voitures hybrides est encore sous garantie et les tout électriques le seront pour quelques années encore. «On sent tout de même une volonté de changement, dit M. Beaudoin. On insiste beaucoup auprès des garagistes pour qu'ils suivent des formations et le portrait change. Lentement, mais sûrement.»