Des centaines de millions de kilomètres ont filé depuis que l'ébéniste Eugène Prévost a construit son premier autocar en bois, en 1924. Aujourd'hui, le nom de l'entreprise fait non seulement référence à ces grands autocars qui parcourent inlassablement nos routes, mais aussi à ces palaces roulants qu'affectionnent vedettes et sportifs américains. À l'occasion de son 90e anniversaire, on porte un regard à ce fleuron québécois parfois méconnu du grand public.

Lors du dernier Brickyard 400, épreuve NASCAR se déroulant à Indianapolis, on dénombrait pas moins de 109 véhicules récréatifs de marque Prévost au centre de l'anneau de vitesse. En fait, quand un pilote NASCAR roule dans un Prévost, c'est qu'il a réussi. Il en va autant pour tous les artistes de renom, qui parcourent les routes d'Amérique du Nord à bord d'autocars de tournée construits dans les ateliers de Sainte-Claire-de-Bellechasse.

«Quelqu'un qui est sensé ne va pas acheter autre chose qu'un Prévost, a déclaré sans gêne Martin Lafond, gestionnaire de produits. C'est une question de valeur de revente, de qualité et d'accessibilité au service.»

Mais c'est devenu bien plus que ça au fil des années. La notoriété apportée par ces véhicules de grand luxe contribue grandement à l'image de Prévost, malgré leur importance somme toute relative par rapport au volume de production total de l'entreprise - 75% des véhicules produits par Prévost sont à ce jour des autocars. «Les VR Prévost ont un effet halo sur toute la marque, a expliqué Michael Power, directeur du marketing. On le voit lors des salons consacrés aux véhicules récréatifs de grand luxe; les convertisseurs de carrosseries Prévost sont tous regroupés sous notre propre grand chapiteau. Non seulement ils n'estiment pas que nous leur portons ombrage, mais ils sont contents de bénéficier de notre image de marque.»

Prévost fait affaire avec quelques entreprises spécialisées - Millenium, Marathon, Featherlite/Amadas, Outlaw et Liberty - qui se chargent d'aménager l'intérieur des autocars destinés à la conversion. L'entreprise Hemphill Brothers se consacre quant à elle à l'aménagement d'autocars de tournée ou d'autocars d'entreprises. La moitié des autocars Prévost destinés à la conversion sont des véhicules de tournée, 40% sont des maisons motorisées, le reste étant des véhicules à vocation spéciale, par exemple les postes de commandement mobile de certains corps policiers.

D'abord pour des choeurs gospel



C'est le constructeur d'autobus scolaires Blue Bird qui a construit la première maison motorisée de l'histoire, le Wanderlodge, en 1963. Quelques années plus tard, des membres d'un choeur de chant gospel de la région de Philadelphie ont pris contact avec Prévost après avoir eux-mêmes transformé leur autocar de tournée, dont ils appréciaient la robustesse. L'échange a éventuellement débouché sur le lancement de la première carrosserie prête à la conversion de Prévost, en 1978. «Les Américains Tom Harbison et Bill Campbell, qui ont acheté des parts de l'entreprise en 1969, étaient sensibles à ce marché, étant eux-mêmes propriétaires de maisons motorisées, a rappelé Gaétan Bolduc, président de Prévost. Mais jamais ils n'auraient pensé que leur entreprise allait occuper 98% du marché pendant plus de 30 ans.»

Aujourd'hui, presque tous les VR Prévost sont vendus aux États-Unis. Pas étonnant, donc, que l'entreprise québécoise ait conclu cette année une entente de partenariat de cinq ans avec le NASCAR. Ses VR sont utilisés par les dirigeants du circuit de course automobile, mais aussi mis à la disposition des commanditaires de la série pour des rencontres d'affaires. «Notre association avec le NASCAR n'est pas accidentelle, car les amateurs de stock-car sont ceux qui, bien souvent, apprécient ce type de produit, a expliqué Gaétan Bolduc. En fait, environ 60% de notre clientèle est composée de retraités du monde des affaires. Des entrepreneurs, des industriels de l'agriculture, des nouveaux riches, des "self-made millionnaires"».

«Ça nous offre une excellente visibilité auprès des mordus de NASCAR, a renchéri de son côté Michael Power. Et il s'agit d'amateurs irréductibles qui développent un sentiment d'appartenance très puissant pour tout ce qui touche à la série.»

Bref, c'est ainsi que l'on entretient un quasi-monopole.

The Ride



The Ride est sans doute le véhicule Prévost le plus original jamais sorti de l'usine de Sainte-Claire. On a aménagé des gradins latéraux dans l'autocar, qui roule dans les rues de New York en s'arrêtant en divers endroits qui deviennent autant de plateaux où se produisent artistes, chanteurs et danseurs. Le son et la musique sont retransmis uniquement aux spectateurs assis à bord de l'autocar, ce qui en fait une forme unique de spectacle ambulant et immersif.

«L'imagination des gens est impressionnante, dit en rigolant Martin Lafond en faisant mine de prendre la fuite. Plus sérieusement, il y a toujours des demandes spéciales, mais on le fait avec le sourire car il s'agit de beaux défis. Pour The Ride, nos ingénieurs se sont rendus à de multiples reprises chez le convertisseur pour offrir le support de Prévost au projet. Il a notamment fallu requalifier la structure de l'autocar pour y installer des gradins et une large surface vitrée.»

Site web: experiencetheride.com

Photo Simon Giroux, La Presse

La devanture de l'usine d'assemblage de Prévost de Sainte-Claire-de-Bellechasse. 

Photo Simon Giroux, La Presse

L'intérieur de l'usine d'assemblage de Prévost.

Des autocars conçus pour durer

Qu'ils soient destinés à être autocars ou maisons motorisées, les véhicules Prévost sont tous nés de la même structure, entièrement en acier inoxydable, et sont tous fabriqués dans les mêmes ateliers de montage.

On s'attendrait à voir des robots au travail comme dans les grandes usines automobiles, mais il n'en est rien. Tout se fait à la main. «La robotisation est faite pour des volumes énormes et nous avons trop de processus différents pour que ce soit rentable», nous a expliqué Martin Lafond, gestionnaire de produits chez Prévost, pendant notre visite de l'usine de 260 000 pi2 qui emploie 890 personnes - l'entreprise compte en tout 1431 employés au Canada et aux États-Unis.

Néanmoins, on produit actuellement 2,5 véhicules par jour dans la manufacture de Sainte-Claire-de-Bellechasse, au terme d'un processus rigoureux mis en place pour assurer que chacun des véhicules puisse avoir une espérance de vie de 3,2 millions de kilomètres. «Pour assurer une solidité exemplaire du châssis, les joints de soudure doivent être parfaitement uniformes et faire le tour complet de chaque pièce, a soutenu M. Lafond. Nos normes de vérification sont très sévères, on met plus de quatre heures à faire l'inspection d'un seul véhicule.»

Après quoi on met une journée complète à tester l'imperméabilité du véhicule; d'abord en déversant 3800 L d'eau à la minute pour simuler une tempête tropicale, ensuite en le soumettant à une pluie extrêmement fine pour s'assurer qu'il n'y ait aucune infiltration par le moindre interstice. Enfin, on fait l'essai sur route de chaque modèle pendant 60 km.

Propriété du Groupe Volvo depuis 1995, Prévost est le porte-étendard nord-américain du marché des autocars pour le constructeur suédois de poids lourds - qu'il ne faut pas confondre avec Volvo Cars, propriété du groupe chinois Geely. Le soutien financier de Volvo a d'ailleurs été bénéfique au constructeur québécois au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, quand le marché des autocars interurbains s'est littéralement effondré, nous a expliqué Michael Power, directeur du marketing chez Prévost. Le constructeur québécois s'est alors maintenu grâce à ses VR de grand luxe, très populaires jusqu'à la crise de 2008. Le marché de l'autocar interurbain s'est entre-temps replacé et Prévost partage aujourd'hui l'essentiel du secteur avec MCI, de Winnipeg. L'entreprise de Sainte-Claire est ainsi en processus d'embauche depuis 24 mois, offrant le plus haut taux de rémunération du secteur dans un rayon de 100 km, qui inclut notamment la ville de Québec.

Expansion américaine en vue

Malgré l'imposant gabarit de ses véhicules, qui ont de tout temps été davantage considérés comme des autocars interurbains, Prévost reluque de plus en plus le marché des autobus de banlieue, faisant suite à un premier contrat de 90 autobus conclu en 2011 avec l'Agence de transport public de la région de New York (NYCTA). «Nos clients, comme Greyhound, notamment, se sont aperçus que nos véhicules étaient à terme plus économiques que ceux de la concurrence en raison de leur cycle de vie très compétitif.» Un argument qui a semble-t-il convaincu la NYCTA de s'engager une nouvelle fois auprès de Prévost, cette fois pour l'achat de 300 autocars X3-45. Conséquemment, l'entreprise québécoise serait donc sur le point d'aller de l'avant avec la construction d'une usine à Plattsburgh, dans l'État de New York, condition sine qua non à la signature du contrat, car le matériel acheté dans le cadre d'appels d'offres de sociétés de transports publics américaines est soumis aux sévères exigences de contenu américain du Buy America Act.

L'ouverture de l'usine de Prévost à Plattsburgh, qui pourrait employer jusqu'à 200 personnes, serait aussi bénéfique aux activités de la manufacture principale de Sainte-Claire, car on y réaliserait le préassemblage des autocars, occasion autrement impossible si Prévost n'avait pas d'usine en sol américain. Selon l'entreprise québécoise, Plattsburgh est l'endroit tout indiqué pour installer une usine en raison de sa proximité du siège social de Sainte-Claire et parce que Nova Bus, société soeur au sein du groupe Volvo, y a déjà une usine.

Photo fournie par Prévost