Jusqu'à présent, l'ingénieur en mécanique et concepteur Charles Bombardier a eu une vie intéressante. Ces jours-ci, il ne sait pas exactement de quoi sera fait le reste de sa vie professionnelle, mais il s'arrange pour que ce soit intéressant aussi.

Clarifions d'abord une chose au sujet de son patronyme. Oui, Charles Bombardier est un «Sang jaune» de Valcourt. Il est le petit-fils - et un des héritiers - du Québécois qui a maté l'hiver, J.-Armand Bombardier, père du Ski-Doo, inventeur génial, entrepreneur légendaire et ancêtre d'une des plus grandes familles industrielles au pays.

Durant les années 2000, Charles Bombardier a dirigé trois projets de développement chez Bombardier produits récréatifs (aujourd'hui BRP). Il a fait du commerce de détail avec deux concessions BRP (maintenant vendues). Il a fait trois tentatives comme entrepreneur, toutes non concluantes jusqu'à présent.

Aujourd'hui, il publie sur l'internet des concepts (environ deux par mois) d'autos, de motos, d'avions, d'embarcations de toutes sortes. Son site charlesbombardier.com contient déjà une quarantaine d'idées de véhicules futuristes, mais ayant tous en commun d'être pensés en fonction de technologies récentes. Il ne sait pas quoi ni comment, mais un projet et un produit tangible en sortira tôt ou tard, dit-il. Le site donne un exutoire à son «fort besoin de produire» et lui permet d'entrer en relation et de discuter avec des designers, ingénieurs, patenteux et autres créatifs, comme lui.

«Publier des idées non brevetées est tout à fait contraire à la logique d'une entreprise industrielle» comme son ancien employeur, Bombardier produits récréatifs (maintenant BRP), de Valcourt, dit Bombardier. «En entreprise, quand tu as une idée de produit, c'est très secret, et la discussion est très fermée. Tu la valides avec trois ou quatre collègues ingénieurs, ça monte ensuite dans la hiérarchie et rien ne sort ni même n'est breveté à moins qu'il y ait une possibilité d'aller en production.»

Ce n'est pas ce dont Charles Bombardier a besoin en ce moment.

Développement du Spyder

Chez Bombardier produits récréatifs, il a dirigé trois projets destinés à la production. D'abord, le Traxter X-L, une version utilitaire du populaire quatre-roues. Ensuite, l'Élite 30e anniversaire, une motoneige de luxe deux-passagers côte à côte, projet commémoratif commandé par Laurent Beaudoin (président du conseil, son oncle), dit-il. «Il fallait utiliser seulement des pièces standard, on a pris un moteur quatre-temps de Sea-Doo, mis deux chenilles en dessous et on les a assemblés à la main dans un entrepôt de pièces à Sherbrooke, dit-il. Le mandat était d'en faire seulement 500. On a fini le 500e le 24 décembre 2004.»

Enfin, il a dirigé le projet Spyder, premier véhicule routier de Bombardier. «C'était un projet marquant, il y avait l'équipe d'ingénieurs les plus hot de l'entreprise, des normes routières à respecter, en vue de l'homologation. Comme c'est un trois-roues, il fallait un dispositif de stabilisation pour contrer la tendance au capotage. On a reçu le mandat de réduire de 20% le coût estimé des pièces, autrement, ça n'était pas rentable.»

C'était un beau projet, mais quelque chose s'est passé en cours de route: Charles Bombardier a signé l'approbation finale de chacune des 3000 pièces devant être envoyées en production ou commandées à des sous-traitants, puis remis le projet pour approbation au grand conseil d'administration de l'entreprise, ce qui a été fait.

Séparation

Et c'est à ce moment que Charles Bombardier a quitté Bombardier. Il ne veut pas trop donner de détails, mais la séparation s'est faite dans la douleur. «Je n'ai pas trouvé ma place chez Bombardier, je ne m'y sentais plus le bienvenu», dit-il. Il dit ça objectivement, comme un ingénieur décrivant la limite d'élasticité d'un matériau. Mais sans pour autant en parler avec un détachement complet. Il ne blâme personne chez Bombardier. En fait, il parle plutôt de lui quand on lui demande ce qui s'est passé: «Regarde, en gros, j'ai manqué de patience. Et puis, la haute direction, je ne suis pas fait pour ça. Je me croyais invincible, je suis parti.»

Il a quitté Bombardier et a travaillé avec le japonais Kawada Robotics sur un projet de robot industriel humanoïde. L'affaire est tombée à l'eau quand Kawada a eu des problèmes au Japon. Charles Bombardier pense toujours que le projet était bon, mais la fenêtre d'opportunité s'est refermée pour lui.

Il a aussi travaillé à une entreprise sur l'internet, tâté l'électrification de motocross et la distribution de Segway. Mais il n'a pas encore trouvé le bon filon.

Alors, il est revenu à la source: «Avant de faire le génie mécanique à l'ETS [École de technologie supérieure de Montréal], j'avais commencé par une technique en génie au cégep de Lévis-Lauzon: je suis un manuel.» Il a électrifié quatre petits 4X4 Kawazaki Mule avec son ami ingénieur Yves Bergeron, qu'il décrit comme «un genre de J.-Armand». Ce projet demeurera dans les limbes: «Le risque et le coût de développement du marché électrique sont énormes; des dizaines de millions de dollars». Mais Charles Bombardier a aimé l'aspect créatif ainsi que la vitesse à laquelle son ami et lui ont fait le tour de la question.

Produire des idées, beaucoup d'idées

Il a donc décidé de produire en rafale un concept chaque fois qu'il a une idée de machine. «Je ne suis pas dessinateur, alors je me suis trouvé des collaborateurs designers, un peu partout dans le monde, sur internet. Je fais le devis, une série de spécifications par écrit. Des fois, c'est détaillé, des fois, ça peut tenir sur une page.»

Il sait que ce qui est publié et diffusé ne peut plus être breveté, mais il dit ne pas avoir de plan d'affaires précis en ce moment et qu'il n'en est pas encore là. «Mon père [JR André Bombardier, vice-président du conseil de Bombardier Inc et ancien patron de la R&D chez Ski-Doo] n'arrête pas de me dire que je donne mes idées à tout le monde. Mais je ne vois pas ça comme ça. Je vois mon site internet comme une espèce de projet open source. Premièrement, ça me permet de satisfaire mon fort besoin de produire. Je produis beaucoup, ce sont des idées assez brutes, je ne prends pas toujours le temps de vérifier si tout a du sens du point de vue de l'engineering, ça me prendrait des semaines à chaque dessin. Je veux que ça sorte.»

Il veut aussi se construire une sorte de «scrapbook internet», se faire connaître, développer des contacts techniques un peu partout et peut-être un jour intéresser des investisseurs à financer une idée, la bonne. Celle-là, dit-il, n'aura pas été mise sur son site internet.

En attendant, comment se décrirait-il? Il hésite: «Artiste-ingénieur?», répond-il en souriant.

Justement, son approche de la créativité est celle de l'abondance, comme celle du sculpteur Armand Vaillancourt, qui a déjà dit: «Je ne crois pas à la pauvreté comme moyen de créativité. Si tu fais beaucoup, beaucoup de choses, tu risques d'en faire des bonnes, à un moment donné. Mais si tu en fais juste une par année et qu'elle est mauvaise, tu es fourré.»

Ce qui est vrai pour les sculptures doit l'être aussi pour les machines.

Mékago

« Le Mékago est un kit modulaire permettant aux adolescents de construire plusieurs types de véhicules motorisés avec des sous-ensembles et des outils. L'ensemble de départ serait simple et facile à utiliser et il devrait coûter moins de 4000 $. Il serait possible d'acheter des kits supplémentaires afin de mettre à niveau son véhicule ou le convertir en d'autres versions (go-kart, motoneige, motomarine). On pourrait même inventer de nouvelles machines. »

Photo CharlesBombardier.com

La Mékago

Arrow

« L'Arrow est un petit véhicule électrique à batterie lithium-air monté sur châssis étroit. Son poste de pilotage s'ouvre comme le cockpit d'un avion de chasse et révèle deux sièges en tandem. Il est alimenté par un moteur de 30 kW, refroidi par liquide. Ce moteur entraîne un différentiel à glissement limité qui fait tourner les deux roues arrière. Des garde-boues ont été ajoutés au corps en forme de torpille. »

Photo CharlesBombardier.com

La Arrow.

Appendix

« L'Apendix est un véhicule compact à quatre roues motrices à longueur variable. Il a la capacité de s'étirer et de révéler une troisième rangée de sièges. Ses portes arrière s'ouvrent comme les portes en élytre de la Mercedes SLS AMG. L'Apendix a été créé pour intégrer deux types de véhicule : compact et VUS. J'ai imaginé cette disposition, car en Amérique du Nord, la plupart des automobilistes se rendent seuls au travail, mais ils ont pour la plupart besoin de quatre sièges en soirée ou durant les week-ends. »

Photo Charlesbombardier.com

L'apendix 

B4

« Le concept "B4" serait une version à quatre places du Ski-Doo Élite, sur lequel j'ai travaillé en 2004 avec Bruce Codère, Jérôme Wubbolts. Le B4 (Bombardier 4 passagers) pourrait être propulsé par un moteur 164 chevaux à injection directe Rotax 800R et la carrosserie serait en plastique léger. Nous avions construit un prototype à l'époque, un Élite allongé de 36 po et doté de deux sièges de plus. BRP me l'a vendu en 2006 et il me reste à terminer la carrosserie. »

Photo CharlesBombardier.com

Le B4

Overdrive

« L'Overdrive est un concept de camion de transport à huit roues motrices sans conducteur. Ses moteurs électriques sont similaires à ceux qu'on trouve dans les bogies-moteurs de trains légers. Il a huit espaces de cargaison indépendants pouvant être déverrouillés par téléphone intelligent. L'objectif était un véhicule aérodynamique respectant la norme maximale nord-américaine de 102 po de largeur sur 102 po de hauteur qui faciliterait la tâche aux petites entreprises et aux particuliers pour charger ou décharger des colis avec ou sans chariot élévateur, sans quai de chargement. »

Photo CharlesBombardier.com

L'Overdrive 

SantaCar

« Pour finir, un peu de légèreté. Le moteur électrique de 200 chevaux du SantaCar est alimenté par une pile à combustible à hydrogène similaire celle que l'on retrouve dans la Honda Clarity. Il y a un système de réduction du bruit pour que les enfants ne puissent pas entendre le père Noël arriver ! Le SantaCar est équipé de roues surdimensionnées et de bons pneus d'hiver. Le père Noël pourrait aussi leur substituer des chenilles lui permettant de circuler sur la neige épaisse et de couper à travers champs. »

Photo CharlesBombardier.com

Le SantaCar.

Le travail pour le plaisir

Charles Bombardier a 40 ans et conduit un Range Rover Evoque, mais va le remplacer par quelque chose d'assez grand pour sa femme, ses trois enfants et lui. Il ne s'intéresse pas à la conduite sur piste. «Je fais du hors-piste: je possède VTT, motoneige, moto, bateau, Segway, et même un jeep Iltis d'armée de Bombardier pour ça.» Il est aussi pilote privé depuis l'âge de 18 ans et vient de vendre son hydravion Cessna 180.

Il est un des 20 petits-enfants de J. Armand Bombardier et possède un portefeuille de propriétés comprenant des actions de Bombardier inc. et de BRP. Quand on lui demande s'il pourrait décider de ne plus jamais travailler un seul jour du reste de sa vie, il fait comprendre que ce n'est pas la bonne question. «Je n'ai jamais eu besoin de travailler. Si je travaille - plus de 60 heures par semaine bien souvent -, c'est parce que j'aime entreprendre des projets et les voir évoluer. J'ai ouvert ma concession BRP/BMW à Sherbrooke à 25 ans et j'étais déjà ingénieur à temps complet chez Bombardier à Valcourt, en plus de fonder ma famille. Donc la passion de réaliser des choses m'habite depuis longtemps. 

«Actuellement, je travaille sur mes concepts parce que j'aime imaginer de nouvelles machines et j'ose espérer que mes idées seront reprises et réalisées par d'autres designers et ingénieurs dans le monde.» Il dit avoir déjà été joint par des gens d'autres pays au sujet de quatre de ses concepts.