Qu'elles soient une Chevrolet ou une Cadillac, qu'elles se nomment Parisienne ou Corvette, dès l'avènement de l'industrie automobile, de belles américaines ont porté un nom français. Si cette tendance s'est essoufflée au cours de l'histoire, il n'en reste pas moins que la langue française est particulièrement présente sur les carrosseries. Et de manière (re)marquée chez certains constructeurs. Y a-t-il une explication à cette influence? Esquisse de réponses.

Lorsque Louis Chevrolet claque la porte de son entreprise en 1913, il ne se doute évidemment pas de la notoriété et du succès que vont connaître les modèles qu'il a enfantés. Mal lui en a pris, jamais de son vivant il ne profitera par la suite de cette réussite et de la fortune qu'a pu en tirer son associé de l'époque, William Crapo Durant.

Lors de leur séparation, Chevrolet cède son nom et ses voitures à ce qui deviendra la marque-phare de General Motors. C'est ainsi que le nom francophone de celui qui est né à La Chaux-de-Fonds, en Suisse, traversera les décennies et circulera sur presque toutes les routes du monde.

«William C. Durant (qui avait des origines françaises) aimait la sonorité du nom Chevrolet et la connotation que cela donnait à la voiture», dit pour la petite histoire Christo Datini, archiviste principal au Centre du patrimoine et d'archives de General Motors.

Lorsque Cadillac passe dans le giron de GM, la marque haut de gamme porte le nom du fondateur de la ville de Detroit depuis 1901, date du bicentenaire de la naissance de cette petite colonie française qu'a établie un certain Antoine de Lamothe-Cadillac.

Au-delà de cet hommage, ce nom a également été choisi à l'époque parce qu'il donnait «une impression de dignité, il était à la fois historique et attractif», précise M. Datini.

C'est donc dans l'histoire qu'il faut chercher les raisons de cette identité francophone propre à Chevrolet et à Cadillac. Mais qu'en est-il de certains de leurs modèles? Et des noms portés par certaines Buick, Pontiac, Chrysler et même Lincoln?

«Pour Cadillac, historiquement, c'est compatible avec la marque d'avoir un nom français ou un nom à consonance française, comme le coupé ou la berline DeVille, explique Christo Datini. Mais les noms des produits GM proviennent de différentes sources et sont souvent le fruit d'une collaboration entre les équipes de marketing et de design qui travaillent au développement d'une voiture.»

Élégance et classicisme

La réponse n'est pas aussi limpide lorsque l'on se penche sur les Pontiac Parisienne, Lincoln Versailles, Buick LeSabre ou encore Chevrolet Beauville. Ces voitures ont néanmoins un point commun. Elles sont presque toutes sorties de l'imagination des ingénieurs et des concepteurs de la même époque, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Les années 50 et 60 sont les décennies les plus marquées par cette identité linguistique francophone. Ce qui fait dire à Alain Raymond, journaliste spécialiste de l'histoire automobile, que «cela faisait chic autrefois» une voiture au nom français.

«L'élégance et le classicisme sont des caractéristiques que beaucoup de marques de GM se sont efforcées d'avoir», appuie M. Datini.

«Je soupçonne qu'il n'y avait pas de réelle stratégie visant à avoir beaucoup de modèles portant un nom français, et que chaque modèle a été choisi simplement parce que celui en charge du marketing trouvait qu'il se démarquait des noms de la concurrence», nuance William Pelfrey, ancien journaliste et cadre de GM, auteur entre autres de Billy, Alfred et General Motors.

Des «Trois Grands», GM est celui qui a le plus emprunté à la langue française pour qualifier quelques-uns de ses modèles (voir tableau). Pour Chevrolet et Cadillac surtout. Pour Buick et Pontiac, dans une moindre mesure. Chrysler s'est extrêmement peu aventuré sur ce terrain, Ford, pas du tout.

Le constructeur à l'ovale bleu a de tout temps privilégié la dénomination alphanumérique pour ses modèles, de la Ford T en 1908 au F-150 d'aujourd'hui. Et c'est encore plus vrai pour sa division de luxe. Les Lincoln ne se déclinent quasiment plus qu'en MKZ ou MKT, par exemple, aujourd'hui, alors que le tout premier modèle fut la L en 1920. Leurs produits identifiés de manière alphanumérique se vendant très bien - pour beaucoup -, Ford et Lincoln n'ont aucune raison de leur attribuer un nom et encore moins un nom étranger.

«Et parce qu'ils ont une gamme de produits européens bien enracinée, ils n'ont pas besoin de se prétendre européens, ils le sont», fait remarquer Benoît Duguay, professeur à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM, spécialiste en consommation et en communication.

General Motors est-il particulièrement influencé par un certain chic français? «La réponse est non. L'attribution de noms à nos produits est basée sur un processus uniforme. Il faut tenir compte aussi de l'influence de la langue française sur l'anglais. Selon différentes sources, près de 30% des mots anglais ont des racines françaises», insiste George Saratlic, directeur des communications de GM Canada.

Une remarque pas totalement fausse. Cette influence s'est quelque peu manifestée dans l'industrie automobile américaine, comme en témoignent les (Buick) Rendezvous et Encore, les (Chevrolet) Avalanche et Caprice, les «coupé» très présents dans les gammes, ou encore ces «Royal» et «de Luxe» utilisés comme suffixe.

Reste que les mots français ou à connotation française ont nommé ou nomment moins de 10% des véhicules Chevrolet à travers l'histoire.

Alors, en perte de vitesse, le français ou pas?

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Illustration Verónica Pérez-Tejeda

Les années 50 et 60 sont les décennies les plus marquées par l'identité linguistique francophone des voitures américaines.