Gérard Larochelle est sans doute celui qui connaît le mieux l'aventure de Citroën en Amérique du Nord. Ancien directeur des ventes de Citroën SA pour la région de Québec, il était de cette aventure dans les années 60 et 70. Il a sillonné la province au volant d'une DS, de Trois-Rivières à Sept-Îles, en passant par le Lac-Saint-Jean et la Gaspésie. À 68 ans, il pose un regard nostalgique sur cette époque et ne croit plus à un retour de la marque au double chevron.

«Il ne faut plus rêver à cela. Les Français auraient de la difficulté à trouver leur place. Ce n'est pas réaliste. Un réseau de concessionnaires serait trop cher à implanter pour Citroën. Renault aurait peut-être moins de difficulté.»

 

Gérard Larochelle lève en partie le voile sur un retour plus qu'hypothétique des constructeurs français sur le marché nord-américain. De par leur alliance, Renault et Nissan se partagent le monde. Le constructeur français n'a pas l'intention de marcher sur les platebandes de son associé. À chacun son marché. À Nissan l'Amérique du Nord. À Renault la Russie ou le Brésil.

 

Pour le groupe PSA Peugeot Citroën, l'avenir est ailleurs qu'en Amérique du Nord: il se trouve en Asie.

 

Chez Renault, on clame qu'un retour en Amérique n'est «pas du tout à l'ordre du jour», que ce marché «ne fait pas partie des choix stratégiques». Renault s'est orienté vers l'Inde, le Brésil, la Russie et même l'Iran. «Cela ne veut pas dire que c'est complètement exclu, corrige Jean-Marc Pinel, porte-parole produit et marque de Renault. Mais la présence de Nissan fait que la priorité est laissée à Nissan. Même si cela représente une occasion pour nous.»

 

La réponse est de la même teneur chez PSA Peugeot Citroën, mais la raison, différente. «L'Amérique n'est pas la priorité du groupe même si on ne peut pas rester indifférents à un marché aussi gros. Personne ne nous attend, même si on sent qu'il y a une évolution en faveur des automobiles moins gourmandes», dit Laurent Cicolella, porte-parole du groupe français.

 

PSA a de solides têtes de pont en Argentine et au Brésil, possède deux usines en Chine et en construit une en Russie. «La priorité est de croître sur ces marchés, surtout en Chine. C'est là qu'il faut être présent, insiste M. Cicolella. On progresse d'abord sur des marchés en croissance.»

 

Reconquête difficile

 

Même si les constructeurs français avaient des ambitions de reconquête, la tâche serait très complexe. Chroniqueur automobile passionné par les voitures de collection et par l'histoire de l'automobile, Alain Raymond estime que Peugeot et Citroën sont «trop faibles, trop petits». «Le plus difficile, c'est de bâtir un réseau fiable de concessionnaires», dit-il.

 

Porte-parole principal de Renault, Caroline De Gezelle confesse que le marché nord-américain «n'est pas facile. Il faut bien se préparer, il faut venir avec une gamme, un réseau de distribution, des ressources, et cela vaut pour tous les constructeurs».

 

«Il faut revenir avec des moyens et une gamme de produits adaptée. La situation économique ne le permet pas», fait remarquer son confrère Jean-Marc Pinel.

 

Leur homologue chez PSA Peugeot Citroën rappelle une «règle d'or»: «On produit là où sont les marchés. Compte tenu des coûts logistiques, on ne peut desservir un marché que si on construit sur place. Pour l'Amérique du Nord, il faudrait donc des usines, des véhicules adaptés à la demande et un réseau de distribution.» En somme, un investissement colossal difficile à chiffrer aujourd'hui.

 

Un investissement qui serait surtout destiné à modifier une gamme de véhicules complètement inadaptée - contrairement à celles des constructeurs allemands - au marché américain. «Pour les Français, le problème, ce n'est pas le Québec. Ce qui est difficile, c'est de faire abandonner aux Américains leur gros pick-up», pense Gérard de Conty, ex-président de l'association Voitures européennes d'autrefois.

 





Partenariat

 

Le partenariat reste la voie la moins difficile à emprunter. Encore faut-il trouver un constructeur. PSA a dû s'associer en Chine. Au Brésil et en Argentine, il a investi seul. Pour les États-Unis, «il faut trouver les partenaires», dit Laurent Cicolella. Et aujourd'hui, ils ne courent plus les rues.

 

En 2006 puis en 2007, Carlos Ghosn a été tenté de se rapprocher de General Motors puis de Ford, tous deux aux prises avec de graves difficultés à l'époque. Un an plus tard, le patron de Renault-Nissan était toujours désireux de trouver un partenaire en Amérique du Nord. En décembre 2008, il a écarté Chrysler, arguant qu'il préférait surseoir à toute acquisition tant que les marchés ne se seraient pas normalisés. La suite, on la connaît. Fiat est passé par là. Et Ford se porte mieux.

 

«En mettant la main sur Chrysler, et donc sur le réseau de concessionnaires, Fiat a eu un coup de génie», juge Alain Raymond.

Photo fournie par Fiat

«En mettant la main sur Chrysler, et donc sur le réseau de concessionnaires, Fiat a eu un coup de génie», juge Alain Raymond, chroniqueur automobile passionné par les voitures de collection. Une chance que les constructeurs français n'ont pu saisir jusqu'à ce jour.