Vous souvenez-vous de la dernière habitude personnelle que vous avez changée? Ça n'arrive pas souvent, n'est-ce pas? Et c'est dur, hein? La force de l'habitude explique peut-être pourquoi la firme japonaise JFE Engineering ne craint pas de mettre sur le marché son chargeur d'automobile électrique ultra-rapide, malgré son prix choquant de 63 000 $US. Il fonctionne avec du courant de 220 volts et zappe une demi-charge en trois minutes.

Trois minutes, c'est extrêmement rapide. C'est à peu près le temps requis pour faire le plein aujourd'hui dans un poste d'essence libre service.

 

La fin du pétrole bon marché va bousculer beaucoup d'habitudes profondément ancrées dans les pays développés, mais le succès commercial de certains produits plutôt que d'autres va dépendre de leur capacité à s'insérer dans les habitudes actuelles du consommateur. Le succès commercial n'ira pas nécessairement aux meilleurs produits techniques, les clients vont naturellement adopter celui qui bousculera le moins leurs habitudes.

 

Les constructeurs automobiles comme Nissan ont construit leur plan d'affaires sur la recharge à domicile, durant la nuit. Ça suffira pour la navette quotidienne maison-boulot-maison. Mais pour la longue distance (et pour les distraits), il faudra des «pompes à électricité» aussi répandues que les pompes à essence des stations service. Et comme l'auto électrique ne rendra pas l'être humain plus patient, JFE pense que quelqu'un (les constructeurs automobiles? Les distributeurs d'électricité? L'État?) va être prêt à financer l'installation de chargeurs qui chargent votre batterie à 50% en trois minutes. Une batterie à moitié pleine, c'est assez de jus pour rouler environ 130 km dans le cas d'une Nissan Leaf ou d'une Mitsubishi i-MiEV.

 

À 63 000 $US l'unité, le chargeur de JFE n'est probablement pas un problème insurmontable pour une grosse compagnie. Par exemple, si Couche-Tard en achète 5000 ou 10 000 pour son réseau de dépanneurs, vous pouvez être sûrs que le prix unitaire va être sérieusement raboté par des négociations et le prix de gros. Mais pour une petite station service avec atelier mécanique, c'est un gros investissement. Et en plus, JFE dit qu'à 63 000$, son chargeur est déjà 40% moins cher que la concurrence.

 

Pas encore compatible avec la Leaf

 

Mais JFE a encore des croûtes à manger. Dans son état actuel, sa pompe à jus n'est pas compatible à 100% à la norme CHAdeMO, que tentent de faire accepter Nissan (pour sa Leaf) de concert avec Toyota, Mitsubishi et de grandes sociétés de distribution d'électricité. Si on ne modifie pas le logiciel de la Leaf, par exemple, le chargeur JFE n'est pas plus rapide que les autres. À moins d'arranger ça, JFE s'appuie seulement sur son prix pour se tailler une part du marché.

 

On ne sait pas si JFE travaille sur une version compatible ou si, justement, elle a publicisé son invention parce qu'elle cherche d'autres partenaires automobiles qui souhaitent une autre norme que la CHAdeMO (qui vient des mots «charge» et «mouvement»).

 

Quoi qu'il en soit, JFE n'est pas le seul fabricant d'avitailleurs électriques qui s'agitent en prévision de contrats d'infrastructures qui s'annoncent juteux. Il y a RWE en Allemagne, qui travaille déjà avec les constructeurs européens.

 

Aussi, la firme Epyon fait actuellement la promotion de son chargeur rapide, le Terra, qui est parfaitement compatible, lui, à la norme adoptée par la Leaf.

 

Un look rassurant d'ancienne pompe à essence

 

On voit qu'Epyon a très bien compris qu'il faut présenter les nouveaux chargeurs sous une forme familière, et même rassurante, qui s'insère dans les habitudes des consommateurs. La photo de sa station de recharge double Terra évoque vaguement les pompes à essence d'antan, longues et minces, antérieures aux grosses boîtes laides et impersonnelles qui défigurent les stations libre-service d'aujourd'hui.

 

Mais le Terra semble passablement plus lent que le chargeur de JFE. Epyon dit que son appareil charge les batteries d'une Leaf à 80%... mais en 30 minutes. Elle ne dit pas quel pourcentage de charge est acquis en trois minutes, ce qui ne permet pas de comparer avec l'autre. On soupçonne que la comparaison ne serait pas à l'avantage du Terra.

 

Une demi-heure pour charger sa voiture à la station-service, c'est une éternité. Surtout si la station-service de l'autre côté de la rue a un chargeur qui vous fait ça en dix fois moins de temps.

 

Mais Epyon a des alliés pesants: elle a été invitée par Nissan pour l'accompagner dans la tournée promotionnelle de la Leaf en Europe, en préparation du lancement là-bas. L'argumentaire de vente d'Epyon, décliné lors d'un récent point de presse aux Pays-Bas, laisse sceptique: quand une compagnie de chargeurs commence à dire que le produit est idéal pour charger une bagnole «pendant que vous prenez un café ou faites un peu de magasinage», ça donne le goût d'aller voir ailleurs, si quelqu'un peut le faire plus vite.

 

À la décharge (excusez le jeu de mots) du Terra, Epyon affirme qu'une charge partielle peut être faite en 15 minutes sur certains modèles d'autos électriques.

Photo fournie par RWE AG

La firme allemande RWE AG a déjà des ententes de partenariat avec des constructeurs automobiles européens.