Les pilotes de rallye sont des êtres à part. Ils roulent à fond la caisse dans des parcours étroits et tortueux qu'ils n'ont pratiquement jamais vus, se fiant aux bons conseils de leurs fidèles copilotes. Peu importe le revêtement, peu importe la température. Ce week-end, à Maniwaki, c'est sur la glace vive que s'est déroulée la première épreuve du Championnat canadien.

Alors que les pilotes de Formule 1 s'apprêtent à retrouver demain leurs baquets sous le chaud soleil espagnol à l'occasion des premiers essais pré-saison, à Jerez, les pilotes de rallye, eux, sont déjà de retour au boulot.

Après avoir lancé la saison du Championnat américain au rallye SnoDrift, au Michigan, les meilleurs pilotes de chez nous ont roulé le week-end dernier dans les chemins glacés de la Vallée-de-la-Gatineau à l'occasion du 48e Rallye Perce-Neige, le plus vieux rallye de vitesse en Amérique du Nord.

Samedi, le vétéran Patrick Richard a profité des pépins des meneurs Antoine L'Estage et Leonid Urlichich (moteur et crevaison, respectivement) pour l'emporter devant Steve Hobbs et Ugo Desgreniers.

«Passer d'une forme de revêtement à un autre n'est pas facile, explique Desgreniers, qui a également terminé 4e du SnoDrift, il y a un peu plus d'une semaine. Le dernier rallye de la saison, celui de Tall Pines, en Ontario, se déroule en novembre sur gravier, et on se retrouve maintenant au Perce-Neige, sur la glace. Passer de l'un à l'autre exige des ajustements différents, sans compter qu'il faut modifier sa technique de pilotage, beaucoup plus délicate l'hiver.»

C'est donc avec étonnement qu'on apprend que le rallye hivernal est moins spectaculaire que son pendant estival. En effet, les amateurs de belles glissades sont mieux servis l'été! «Il y en a qui donnent des shows parce qu'ils glissent un peu partout, mais ils perdent énormément de temps, affirme Ugo Desgreniers. Les meilleurs sont comme des serpents. Antoine (L'Estage, multiple champion canadien; NDLR) n'arrête pas de dire qu'il n'est pas bon pour les photos, mais il est plus rapide que tout le monde. C'est mon modèle.»

En fait, les techniques du rallye d'hiver s'apparentent beaucoup à celles de la course sur circuit routier. «Il faut trouver l'adhérence à trois ou quatre pouces des bancs de neige, constamment rouler sur les côtés du tracé, là où se trouve la neige, et aussi prendre le temps de freiner correctement, énumère le pilote de 34 ans d'Orford. Il faut donc adopter une trajectoire très fluide, chercher constamment la ligne idéale, comme en circuit routier.»

On va nécessairement moins vite l'hiver que l'été, mais les écarts entre les meilleurs et les moins habiles sont encore plus marqués quand ça glisse. «En moyenne, les pilotes vont deux fois plus rapidement l'été, estime Patrick Rainville, organisateur du Rallye Perce-Neige et pilote à ses heures. Cela dit, un gars comme Antoine L'Estage va peut-être rouler 20% moins vite l'hiver que l'été, mais pour d'autres, la différence peut être de 70%.»

C'est ainsi que certains pilotes handicapés par des voitures moins puissantes peuvent espérer s'illustrer l'hiver, chose à peu près impossible sur les sentiers de terre battue. «L'hiver, certains pilotes peuvent exceptionnellement terminer en avant de voitures plus rapides, car c'est davantage une question de pilotage que lors des rallyes estivaux, soutient Ugo Desgreniers. Ça ne prend pas nécessairement beaucoup de puissance. En fait, les autos ultra puissantes sont parfois même désavantagées parce que c'est plus difficile de trouver l'adhérence. Trop, c'est comme pas assez!»

Les hauts et les bas du rallye hivernal

Hiver rigoureux, froid mordant, glace traîtresse, tous ces adjectifs donnent à la saison blanche des allures abominables. Pourtant, en rallye, hiver est synonyme de douceur. Du moins pour les concurrents.

«Un rallye hivernal est beaucoup moins coûteux qu'un rallye d'été, notamment au niveau des suspensions, des freins, des pneus, nous a expliqué Patrick Rainville, organisateur du Rallye Perce-Neige. Tu ne briseras pas ta voiture, tu ne te blesseras pas, le parcours est bordé de bancs de neige, tu ne risques pas de t'écraser contre un arbre.»

La neige recouvre en effet les cahots qui sont la hantise des suspensions pendant la belle saison. Un concurrent pourrait envisager de rouler en rallye l'hiver avec une suspension régulière, chose impensable l'été. C'est pourquoi le rallye hivernal est sans doute la plus accessible des formes de rallyes. Côté budget, on s'entend. Le talent, comme on le sait, ça ne s'achète pas, de toute façon...

C'est toutefois tout un travail qui est nécessaire pour aménager et déneiger les chemins utilisés par les concurrents du rallye. Et c'était pire encore cette année. Des précipitations consécutives de verglas et de neige un peu avant Noël ont couché de nombreux arbres, ce qui a forcé les organisateurs à revoir le parcours à la dernière minute.

«Cette année, c'est comme si nous avions préparé deux rallyes. Au début de décembre, nos cahiers de route étaient prêts, a déclaré M. Rainville. De concert avec le club de quad de la région, nous avons mis toute l'énergie à ouvrir et dégager les sentiers de VTT que nous utilisons. L'opération nous a coûté environ 1000 $ du kilomètre, soit près de 35 000 $ pour ouvrir une section complète. Normalement, il nous en coûte 10 000 $ à 12 000 $.»

Résultat, les organisateurs n'ont pu utiliser plus de 40 % des sentiers de VTT normalement intégrés au tracé du rallye. D'un tracé qui comportait 225 kilomètres de spéciales chronométrées, le parcours a été amputé de quelque 25 kilomètres.

Mais la recette est néanmoins respectée: «Les routes que l'on recherche sont sinueuses, avec plusieurs montées et descentes, explique Sylvain Erickson, pilote et directeur de course. Surtout, pas trop de lignes droites.»

Les pneus comme de la colle!

En Amérique du Nord, il est interdit de rouler en rallye avec des pneus cloutés. Il existe bien des pneus à neige faits pour la compétition, mais quand il y a de la glace, on se rabat sur des pneus... en vente chez le détaillant du coin! «C'est le seul événement que l'on dispute avec des roues pour voitures de tourisme», explique Ugo Desgreniers, pilote, mais aussi distributeur de pneus chez Relais Pneus et Mécanique, à Sherbrooke. Par contre, les équipes de pointe font modifier les gommes pour en augmenter l'adhérence. Comment? Ils attendrissent la semelle des pneus en passant sur des rouleaux sertis de dizaines de petits pics peu profonds. Dans le jargon, on parle de «délicatisation» des pneus. «Le caoutchouc devient extrêmement poreux, se déforme plus facilement et peut ainsi mieux coller à la glace, explique Ugo Desgreniers. Le problème est que sa vie utile est à ce point altérée qu'il se désagrège au bout de 200 kilomètres...» Ça donne un gain d'efficacité de 10 % à 20 %. C'est relativement peu, mais pour les équipes de pointe, toutes les secondes comptent!

Photo fournie par Philip Ericksen/Rallye Perce-Neige