Prenez un pilote moto qui n'a pas fait de compétition depuis trois ans. Mettez-lui sous les fesses une bécane électrique qu'il n'a jamais pilotée. Demandez-lui de participer à un championnat international au lendemain d'un grave accident. Et tant qu'à faire, de remporter une course. Scénario impossible? C'est mal connaître Miguel Duhamel.

«Miguel va toujours m'impressionner. C'est le gars qui a les meilleurs réflexes et qui est le plus talentueux que j'ai jamais connu. C'est un phénomène.»

Patrick Carpentier connaît bien son ami originaire de LaSalle. Le pilote automobile l'admire d'autant plus qu'il a récemment réalisé l'impensable sur le mythique circuit du Mans.

Lorsque Miguel Duhamel a enfourché la Lightning de l'équipe américaine Baraccuda Racing Team, le 7 septembre dernier, il n'avait pas touché à une moto en compétition depuis trois ans. Les commanditaires le snobaient à cause de son âge - 44 ans - et de ses soi-disant exigences financières.

Duhamel a toujours fait du vélo de montagne, du cyclisme et du motocross, «pour garder la forme». Quand Richard Hatfield, directeur de l'équipe américaine, l'a appelé pour lui demander de remplacer un de ses pilotes au pied levé, le Québécois était pourtant mal en point physiquement. Deux mois et demi auparavant, Duhamel a été victime d'un grave accident lors d'une sortie en motocross avec des amis - une mauvaise chute à la réception d'un saut. Diagnostic: le fémur gauche s'est déboîté de la hanche, le poignet droit et deux côtes ont été fracturés. Le tout avec une bonne commotion cérébrale.

«Cela faisait trois ou quatre jours que je n'avais plus de plâtre et que je commençais à mettre du poids sur ma jambe gauche pour marcher quand Hatfield m'a appelé. Je suis monté faire un essai en Californie, j'ai été capable de piloter», nous explique simplement celui qui a été le premier Canadien à remporter le titre de l'AMA Superbike, en 1995.

À peine a-t-il eu le feu vert de ses médecins que Miguel Duhamel s'est retrouvé quelques jours plus tard au départ d'une course de motos électriques en France. Sa Lightning était l'une des invitées de la dernière manche du championnat international FIM e-Power 2012, l'une des deux grandes compétitions de motos électriques au monde.

Duhamel a beau ne pas avoir d'expérience avec une machine électrique, cela ne l'a pas empêché de dominer les essais et de remporter la course!

«J'ai impressionné pas mal de monde en France, surpris que dans de brefs délais j'ai eu de tels résultats», dit humblement celui qui s'est fait remarquer en Endurance et en Moto GP au début des années 1990.

Et cette moto électrique, au fait? «C'est le fun à piloter. C'est silencieux. La moto te parle toujours d'habitude avec le pot d'échappement. Pas là. Mais on s'y habitue. Sinon, ça ne chauffe pas les jambes, le pilotage est similaire à celui d'une moto à essence. Il y a un système de récupération d'énergie au freinage. Quand l'accélérateur est fermé complètement, le pneu arrière simule une compression de moteur à essence. À l'accélération, cela réagit de façon très linéaire. Ça fait un bruit spécial, comme un avion à réaction. Ce n'est pas une blague, la moto électrique, il y a là un avenir.»

Et son avenir, à Miguel Duhamel? «Il y a des possibilités pour participer à des épreuves d'endurance, peut-être aux 24 Heures du Mans Moto l'an prochain», dit l'intéressé.

On le lui souhaite. Après cet incroyable retour.

Photo fournie par FIM/Good Shoot!

Miguel Duhamel

Les balbutiements d'une industrie

La moto électrique de compétition en est à ses balbutiements. Les bolides qui participent à l'un des deux championnats internationaux - le TTXGP et le FIM e-Power - sont des prototypes, dont certains sont appelés à être commercialisés. En attendant, le travail de mise au point se poursuit.

«Un intense travail a été fait sur le châssis au cours des dernières années. La plupart des équipes font leur propre châssis pour mieux intégrer leur bloc-batterie. L'allègement et la compacité du châssis étaient les principaux objectifs pour parvenir à une meilleure stabilité et à une meilleure manutention de la moto. Le poids a diminué, l'aérodynamisme a été amélioré», explique Oriol Gallemi, directeur technique du championnat international FIM e-Power.

Les blocs-batteries utilisés par les équipes sont évidemment tous composés de lithium. Peu importe l'élément avec lequel le lithium est associé, chacune des équipes tâtonne encore pour améliorer l'autonomie et la performance des motos. Les équipes ont le plus souvent recours à des batteries d'une capacité supérieure à 12 kWh.

La moto électrique de compétition est de plus en plus crédible auprès des pilotes chevronnés. Cette année encore, «tous les nouveaux pilotes ont été frappés par la simplicité du contrôle et la sensation de couple à l'accélération», affirme Oriol Gallemi.

En matière de performance pure, Miguel Duhamel a constaté que sa Lightning avait une autonomie en course d'environ 45 km à pleine puissance. Il a atteint une vitesse de pointe de 270 km/h. «La Lightning Motorcycle est la meilleure moto électrique de compétition à l'heure actuelle», dit-il.

Photo fournie par FIM/Good Shoot!

Cohabitation de compétitions

La première compétition de moto «zéro émission» au monde, le championnat TTXGP ou eGrandPrix, indépendant de toute fédération, a été lancée en 2009. Il n'en fallait pas plus pour que la Fédération internationale de motocyclisme (FIM) lui emboîte le pas un an plus tard en créant son propre championnat. Les deux compétitions cohabitent depuis ce temps.

Aucune des deux compétitions n'a réellement le statut de championnat du monde, essentiellement en raison du faible nombre de participants, même si le TTXGP a pris de l'expansion en 2010 lorsqu'il a décidé de scinder son aire d'influence en zones géographiques. L'Australie, l'Amérique du Nord et l'Europe ont ainsi leur propre «championnat régional». Les huit meilleurs au classement général disputent une finale mondiale le temps d'une fin de semaine. Cette année, elle a lieu sur le circuit de Daytona, du 19 au 21 octobre.

Le championnat international FIM e-Power, organisé par la FIM, compte cinq courses au calendrier. Depuis l'an dernier, des pilotes du TTXGP participent à trois des cinq courses. Miguel Duhamel, pilote d'une équipe du TTXGP lors de la toute dernière épreuve du championnat de la Fédération, a remporté cette course en septembre au Mans.

Une fusion des deux compétitions est-elle envisageable? «Pour l'instant, il n'y a rien de fait pour avoir un championnat commun. Mais on n'est pas en concurrence non plus», répond Isabelle Larivière, attachée de presse de la FIM.