On l'avoue tout de go. On est jaloux. Impossible d'imaginer un métier plus cool. Cascadeur. Payé pour simuler des bagarres ou faire des poursuites en auto. Mais à quel prix, et pour combien de temps?

«J'en ai mangé en maudit du Kraft Dinner!»

Stéphane Lefebvre a trimé dur avant de devenir l'un des rares Québécois à se spécialiser dans les cascades automobiles. Tonneaux, sauts, dérapages de précision, il n'y a pas grand-chose à son épreuve. Mais cette expertise a été acquise au prix de sacrifices énormes, et alimentée par une passion sans borne.

«J'adore les moteurs depuis ma plus tendre enfance, avoue Stéphane Lefebvre, actuellement en tournage à Toronto pour la série The Transporter. J'ai commencé par faire des cascades physiques, mais j'ai toujours été davantage attiré par les véhicules. Ils sont plus massifs à contrôler, c'est toujours un défi de les amener sur deux roues ou de faire des tonneaux de précision, en stoppant sa course à l'endroit désigné.»

Euh, pardon? Des tonneaux de précision? Y a-t-il quelque chose de moins prévisible que de faire un tonneau en auto? Pas pour un cascadeur, semble-t-il. «C'est le défi que je me suis donné, explique M. Lefebvre, qui est également coordonnateur de cascades. Je veux que mon auto s'arrête là où je le veux. Un jour, les producteurs avaient fait venir des ingénieurs pour évaluer où allait atterrir une voiture après un vol plané et quelques vrilles. Ils ont eu beau prévoir la trajectoire en fonction du poids de l'auto, sa vitesse et tout, mais notre expérience a battu leurs savants calculs!»

C'est ici que les années de sacrifices s'avèrent rentables. «J'achetais des voitures pour pratiquer à faire des dérapages contrôlés, explique Stéphane Lefebvre. Quand l'auto était bonne pour la casse, je l'équipais d'une cage de sécurité et je la 'flippais' dans les airs. Je mettais une boîte de carton à la place de la caméra et je regardais où l'auto atterrissait. Je m'imaginais sur un plateau, je me créais un monde.»

Les cascadeurs ont avantage à être fins prêts, car devant la caméra, il n'y a pas de place à l'erreur. «On subit une énorme pression et seule la pratique permet de gérer ce genre de stress, admet Jean Frenette, d'On Set Stunts, une des plus importantes équipes de cascadeurs du Québec. Pour les dérapages contrôlés, on imagine des mises en situation où on arrive à terme à faire glisser la voiture à moins de 10 pouces d'un objet.»

Cet objet, en tournage, c'est la caméra.

N'est pas cascadeur qui veut

Suivre des cours de pilotage peut certainement aider celui qui voudrait devenir cascadeur. Mais c'est loin d'être suffisant. «J'ai déjà doublé Jacques Villeneuve dans une pub de Volkswagen, raconte Stéphane Lefebvre. Quand il m'a vu là, il était un peu insulté, mais il s'est finalement écoeuré et m'a laissé faire mon travail. Quand on fait de la pub, le logo de la voiture doit finir accoté à deux pouces de la caméra. Un pilote de course est habitué de filer à 300 à l'heure, pas à freiner devant une caméra quand il roule à 40 km/h.»

Quant à la relève, elle ne semble pas au rendez-vous. «La moitié des 500 candidats que je reçois chaque année, disent être pilotes de précision. Mais c'est un gros zéro, s'exclame Stéphane Lefebvre. La plupart ne sont même pas en mesure de me fournir une démo de leurs performances.»

«C'est une question d'argent, soutient de son côté Jean Frenette. Pour faire des tonneaux, tu dois préparer l'auto en conséquence. Ça coûte cher. D'autant plus que ce qui est le plus souvent demandé, c'est la conduite de précision.»

Selon lui, une vingtaine de cascadeurs québécois sont en mesure de faire ce genre de manoeuvres. Mais pour les grosses cascades, Stéphane Lefebvre soutient qu'ils ne sont pas plus de trois à pouvoir les réaliser. Cela dit, la technologie pourrait sonner le glas des cascades les plus spectaculaires.

«L'animation par ordinateur s'en vient de plus en plus perfectionnée, admet-il. On se bat contre les gars d'effets spéciaux. Pour l'instant, ils admettent que c'est mieux en vrai. Mais j'ai vu des banques de mouvements de véhicules créés par ordinateur et c'est impressionnant. À moyen ou à long terme, les ordinateurs vont s'occuper des grosses cascades et les cascadeurs vont peut-être être limités à faire des bagarres...»