Arme: planche à neige. Attitude: résolument délinquante. Objectif: repousser sans cesse les limites. Champ de bataille: une ville, sous la neige. Bienvenue dans l'univers du streetstyle, discipline encore clandestine qui menace d'éclater au grand jour. Et plus que partout au monde, c'est au Québec que ça se passe!

Le streetstyle a fait une entrée remarquée en 2011 aux fameux X-Games, devenant la première épreuve à ne pas se dérouler en direct sous les yeux du public. En lieu et place, les têtes brûlées sont invitées à envoyer une vidéo d'une soixantaine de secondes, qui est soumise aux choix des juges et des internautes. Les deux fois, le public a récompensé les performances de gars de chez nous, Nic Sauvé en 2011 et Louis-Félix Paradis en 2012.

On est littéralement soufflé quand on voit Sauvé s'envoler dans les airs avec la ville de Lévis à l'arrière-plan, en agrippant au passage le sommet d'un lampadaire. Vous avez bien lu: le SOMMET d'un lampadaire. Car le secret du streetstyle est d'arriver avec un nouveau truc qui n'avait jamais été vu avant. Et pour ça, il n'y a rien de mieux que l'environnement urbain.

«Les scènes tournées dans la poudreuse des Rocheuses viennent à se ressembler toutes un peu», indique Jérémy Cloutier, vainqueur de l'épreuve de Rail Jam, l'an dernier au concours Shakedown Canada, au mont Saint-Sauveur. «Et comme on n'est pas à Whistler, il faut bien s'organiser avec les lieux qu'on a. C'est pourquoi on s'est mis à faire ça un peu partout en ville», enchaîne le planchiste de Blainville.

De fait, le streetstyle est né en Californie au début des années 2000, «mais c'était davantage une copie du skate», explique William Demers, cofondateur de Brothers Factory, boîte de production de Québec spécialisée dans les clips de streetstyle. «On s'est dit qu'on allait essayer de créer autre chose.»

«Depuis 2005, on a atteint un autre niveau, poursuit Jérémy Cloutier, l'un des «riders» professionnels qui tournent avec Brothers Factory.

Québec: LA place

Et ça commence à se savoir. Les gros joueurs du monde de la planche comme Burton, DC, Salomon ou Forum s'arrachent les planchistes de chez nous. «Toutes les compagnies veulent un Québécois dans leur écurie, soutient Demers. Surtout parce que c'est difficile de trouver de la neige. Québec est LA place pour filmer du rail.»

Dans la mesure où les autorités collaborent un peu. «C'est pas mal clandestin, notre affaire, admet Cloutier. On ne demande pas nécessairement l'autorisation parce qu'on doit souvent essuyer des refus. Y a souvent des problèmes, la police intervient parfois. C'est stressant toutefois quand y a des «kick-out». On a parfois le temps de faire une ou deux shots, pas plus...»

Les planchistes se rabattent donc souvent sur des magasins fermés, des cours d'école le week-end, des usines désaffectées, des parcs.

Tout ça en évitant l'inéluctable: «Le défi, c'est de ne pas se faire mal, de rester sur ses pattes et de continuer à innover», raconte Jérémy Cloutier. Plus facile à dire qu'à faire: Nic Sauvé s'est déchiré un muscle de la cuisse en novembre en filmant son clip pour les X-Games, à Anchorage, en Alaska. Guillaume Marquis s'est quant à lui disloqué le genou en tournant avec Brothers Factory au-dessus de l'autoroute Henri IV, à Québec...

Photo Oli Croteau, collaboration spéciale

Nic Sauvé, survolant les Plaines d'Abraham, pendant le tournage de son clip gagnant aux X-Games.

«Un truc pas filmé, ça ne vaut rien»

Le streetstyle n'existe pas s'il n'est pas filmé. Autrement dit, tout ce que font les planchistes est capté d'une façon ou d'une autre par une caméra. «On est tout le temps en train de créer de nouvelles choses, explique William Demers, réalisateur de films de streetstyle chez Brothers Factory, entreprise qu'il a fondée avec son frère Charles. C'est un mélange unique d'art et de sport. Parce que si un truc n'est pas filmé, il ne vaut rien.»

De l'aveu de Will Demers, Brothers Factory est la plus importante maison de production du genre au Canada et figure parmi le top 5 mondial. Bien sûr, il comprend très bien qu'un jeune ne dira jamais non aux juteux contrats qui commencent à être offerts aux États-Unis par des entreprises comme Burton et DC. «Je joue un peu le rôle d'agent, mais quand les meilleurs deviennent connus, ils me laissent tomber», reconnaît un Will Demers lucide.

Lui-même habile planchiste, Demers sait si un truc vaut la peine d'être enregistré: «Si je suis capable de le faire, ça ne passe pas dans mes films.» Et il n'a pas intérêt à rater son coup, car l'occasion pourrait ne plus jamais se présenter. «T'as pas le droit de manquer une shot, affirme le réalisateur. Et quand il faut tourner, on ne peut pas attendre. La neige, la lumière, ça bouge constamment. Et quand il faut monter des structures, transporter la génératrice et l'équipement d'éclairage, impossible de prendre un break si on veut pouvoir faire un film de 20-30 minutes.»

Et ça, c'est sans compter sur la présence parfois gênante d'agents de sécurité un peu zélés...

Photo Oli Croteau, collaboration spéciale

Tout ce que font les planchistes est capté d'une façon ou d'une autre par une caméra.

Pour s'y retrouver dans le jargon..

Plusieurs disciplines de planche à neige sont proches parentes et il n'est pas rare de voir certains athlètes passer de l'une à l'autre. Toutefois, étant donné le degré de spécialisation sans cesse croissant, il est de plus en plus difficile de rester au plus haut niveau dans l'une comme dans l'autre.

> Streetstyle: Mélange de figures effectuées dans un environnement urbain, sur des murs, des rampes, n'importe quoi, en fait.

> Rail Jam: Semblable au street-style, mais à la montagne, sur des structures établies dans le cadre de compétitions encadrées.

> Big Air: Épreuve jugée qui consiste à faire des sauts vertigineux au bout d'une rampe de lancement.

> Slopestyle: discipline qui fera son entrée aux Jeux de Sotchi en 2014, elle comporte des sauts rappelant le big air de même que des rampes qui s'apparentent au rail jam.

Photo Oli Croteau, collaboration spéciale