Monsieur X achète une voiture d'occasion auprès d'un commerçant. Au moment où l'immatriculation temporaire - le transit - achève, il se rend au bureau de la Société de l'assurance automobile du Québec. Il apprend alors avec stupéfaction que le véhicule ne peut être immatriculé en raison de billets d'infraction impayés par l'ancien propriétaire qui a vendu sa voiture au commerçant. Dans le jargon juridique, cette pratique s'appelle « code de blocage à l'immatriculation ».

Il s'agit d'une mesure assurant aux différentes cours - municipales ou provinciale - un moyen de régler les défauts de paiement de contravention. Peu importe s'il s'agit de billet d'infraction relatif au stationnement interdit ou à un article du Code de la sécurité routière.

« Le 12 novembre 2003, l'Assemblée nationale adoptait la Loi modifiant le Code de la sécurité routière et le Code de procédure pénale concernant la perception des amendes », a écrit au Soleil Audrey Chaput, porte-parole à la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ). « Cette loi, entrée en vigueur le 16 mai 2004, a aboli l'emprisonnement pour défaut de paiement d'amende à la suite d'une infraction en matière de circulation routière et de stationnement. »

Lorsqu'il y a un défaut de paiement d'infraction, la SAAQ reçoit un avis de la cour. À ce moment, selon les dispositions de l'article 194 du Code de la sécurité routière (CSR), la SAAQ interdit la mise en circulation de tout véhicule routier immatriculé au nom de la personne en défaut de paiement, refuse d'immatriculer un véhicule routier au nom de celle-ci et refuse de transférer l'immatriculation du véhicule au nom d'une autre personne.

« De plus, elle prévoit que nul ne peut céder, acquérir ou louer un véhicule routier lorsqu'un cocontractant fait l'objet du refus d'immatriculer un véhicule à son nom ou de transférer l'immatriculation d'un véhicule au nom d'une autre personne », ajoute Mme Chaput, citant l'article 194.1 du CSR.

Dans le cas de Monsieur X, cité plus tôt, l'ancien propriétaire du véhicule était visé par cette mesure pour avoir omis de payer une ou plusieurs infractions. Mais comment se fait-il que la voiture se soit tout de même retrouvée dans l'inventaire du commerçant?

En principe, lorsque le véhicule est racheté par un commerçant, il devrait être inclus dans l'inventaire de ce dernier et rapporté à la SAAQ pour qu'il se retrouve sous la classification « Sans utilisation » (ou SUTIL, dans le jargon des revendeurs).

Or, selon les informations recueillies auprès des différentes associations de commerçants, cette opération serait tout simplement escamotée, en raison de la manipulation que cela représente pour les commerçants de véhicules d'occasion.

« Il faut que le commerçant se présente au bureau de la SAAQ avec les papiers. Imaginez s'il prend en échange quelques véhicules par jour. Ce qui arrive, c'est que la voiture demeure au nom de l'ancien propriétaire, même si elle est dans la cour du commerçant », explique Me Thomas Roberge, avocat à l'Association des marchands de véhicules d'occasion du Québec (AMVOQ). « Dans le cas des concessionnaires de véhicules neufs qui reprennent des voitures en échange, ils peuvent faire le transfert avec le service en ligne SAAQclic. Nous, à l'AMVOQ, on a quelques concessionnaires de neuf parmi nos membres, mais la très grande majorité n'ont pas accès à SAAQclic. »

Que faire?

Si cette situation se présente, quels sont les recours offerts à l'acheteur? Le seul endroit où il faut cogner à la porte, c'est à l'Office de la protection du consommateur (OPC, www.opc.gouv.qc.ca), si l'acheteur ne réussit pas à s'entendre avec le commerçant. La SAAQ ne traite pas de tels cas. Au mieux, elle peut sanctionner les commerçants si de telles situations se présentent souvent, à la lumière des enquêtes de l'OPC.

Par ailleurs, un commerçant ne peut pas proposer de renouveller ad nauseam des transits ou de prêter une plaque « X » pour accomoder l'acheteur. Dans le premier cas, l'émission d'un transit est unique. Dans l'autre, les plaques « X » sont réservées uniquement à l'usage des commerçants pour le transfert ou les essais routiers de véhicules.

Car le seul fait de ne pas pouvoir immatriculer un véhicule contrevient à l'article 37 de la Loi de la protection du consommateur qui stipule qu'« un bien qui fait l'objet d'un contrat doit être tel qu'il puisse servir à l'usage auquel il est normalement destiné ».

Jean-Jacques Préaux, porte-parole de l'OPC, a expliqué au Soleil qu'une vente pourrait être annulée dans un tel cas, en vertu des dispositions de l'article 272 de la Loi de la protection du consommateur. Mais il demeurait prudent à cet effet, en raison « de la rareté de tels cas ». « Mais on suppose qu'un commerçant doit faire son travail comme il le faut », ajoute-t-il.

Me Roberge, quant à lui, confirme que le fait de ne pas pouvait immatriculer le véhicule soit un motif assez sérieux pour annuler un vente.

Quant à elle, la SAAQ affirme que la responsabilité ultime revient à l'acheteur. « Vous achetez un véhicule usagé chez un concessionnaire ou chez un commerçant de véhicules usagés? Demandez au concessionnaire ou au commerçant s'il a vérifié que l'ancien propriétaire pouvait transférer son véhicule », peut-on lire dans un dépliant expliquant les dispositions du CSR au sujet des infractions impayées.

Avant de conclure la vente d'un véhicule d'occasion, le consommateur a accès au service SAAQclic pour vérifier si la transaction peut être effectuée. Il en coûte 1,60 $. L'acheteur peut vérifier cette information en ligne à www.saaq.gouv.qc.ca/saaqclic/grandpublic/droitimmat/index.php. Le service est également offert par téléphone au 1 900 565-1212.

Il va de soi que la responsabilité de vérifier si le véhicule n'est pas bloqué revient à l'acheteur dans le cas d'une vente entre particulier. Une pratique à inclure au même titre que la vérification des liens d'emprunts auprès du Registre des droits personnels et réels mobiliers, le fameux RDPRM (www.rdprm.gouv.qc.ca).

« Même si ça fait déjà plus de 15 ans que cette formalité existe, il y a encore des gens qui se font prendre », affirme Me Frédéric Morin, lui aussi avocat, mais à la Corporation des concessionnaires d'automobiles du Québec (CCAQ).

Que peut faire un commerçant pour débloquer un véhicule? Il doit trouver à quel endroit se trouvent les infractions impayées et les régler. Il doit ensuite mettre en demeure l'ancien propriétaire afin de se faire payer.

De rares cas

Malgré le côté dramatique de la chose, il reste que les litiges en vertu d'un code de blocage à l'immatriculation sont rares. « On estime une proportion de un ou même d'un demi-cas sur 10 », déclare Me Morin de la CCAQ.

« On n'a jamais eu affaire à un tel cas à l'AMVOQ. Probablement que les litiges se sont réglés d'eux-mêmes entre les acheteurs et les commerçants », conclut Me Roberge.