Les salons automobiles sont la vitrine qui permet à un constructeur d'exposer une nouvelle version d'un modèle existant ou sa vision de la voiture de demain. Avant qu'une voiture jusqu'ici inconnue n'y soit dévoilée officiellement, il faut remonter parfois jusqu'à quatre ans dans le temps. De la décision de mettre en marché un nouveau véhicule au concessionnaire, voici comment naît une voiture.





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ÉTAPE 1: DÉCISION ET AVANT-PROJET

Répondre à un besoin

La décision de créer un nouveau produit est en général collégiale, issue d'une réflexion lancée par les principaux dirigeants d'un constructeur automobile. Mais l'initiative peut venir d'un seul individu, le plus souvent du plus haut dirigeant dans ce cas-ci.

Ce fut le cas par exemple lors de la naissance de la mini-fourgonnette Dodge Caravan. «Lee Iaccoca [président de Chrysler au début des années 80] voyait qu'il fallait fournir aux automobilistes une voiture familiale. Certains des véhicules que l'on avait à l'époque étaient tellement grands qu'ils ne rentraient pas dans le garage: de gros camions, des voitures familiales immenses, c'étaient les véhicules type pour la famille», se remémore Marcel Breault, directeur de l'usine Chrysler de Windsor, en Ontario.

Une fois la décision prise de sortir un nouveau modèle, la première étape consiste à déterminer les tendances du marché pour les années à venir, grâce à de nombreuses études de marché. Il faut ainsi anticiper, prévoir et... ne pas se tromper.

Très rapidement, la voiture programmée portera un nom de code.

Dès cette étape, designers, ingénieurs et chefs de service tentent de répondre aux attentes de la direction.

«Avant le travail de design, l'équipe de stratégie examine tout ce qui se fait chez la compétition, explique Ralph Gilles, responsable du design chez Chrysler. Ses membres regardent ce qui marche fort, les autres pays, le marché nord-américain, le long terme. Ils regardent les usines que l'on a de disponibles, ce que l'on peut utiliser comme moteurs et plateformes. Et ils répondent aux questions. Si vous voulez être compétitif dans un secteur: qui est le leader? Qui est le second dans cette catégorie du marché? Qu'est-ce qui marche? Tout.»

Ce groupe de travail fournit une feuille de route qui va aider les designers à déjà plancher sur le projet.

Photo fournie par Chrysler

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ÉTAPE 2: DESSINS ET STYLES

L'art d'anticiper

Définir les lignes d'une nouvelle voiture relève à la fois de la haute direction et des responsables du service design, aidés du travail de défrichage accompli en amont par une équipe Stratégie.

C'est habituellement un comité d'une quinzaine de personnes qui se penche sur l'orientation stylistique d'une nouvelle voiture, chacun apportant ses idées.

Lorsqu'il s'agit de dessiner une nouvelle version d'un modèle existant, les designers essaient de fixer les proportions avec leurs collègues de l'ingénierie. Parallèlement, avec les équipes de marketing et stratégie, ils définissent le caractère de la voiture de façon assez simple.

S'il s'agit d'une toute nouvelle voiture, la démarche est la même à ceci près que le travail, plus intense, consiste à proposer plusieurs hypothèses.

Une fois les évidences établies, les designers sont envoyés à leur planche à dessin et à leur ordinateur. On donne à chacun la possibilité d'interpréter les demandes.

Selon le projet, le travail est soit le fruit d'un seul studio de design du premier sketch au premier prototype, soit issu d'une compétition entre studios. Le troisième scénario, plus rare, est celui où tous les studios participent ensemble à un même projet.

Les propositions retenues s'égrènent au fil du temps. Le processus de sélection peut durer jusqu'à deux ans.

«Tous les deux ou trois mois, il y a une élimination. Au départ, il y a des paramètres techniques, des traits de caractère (élégance, dynamisme, prestance naturelle) à respecter. Il faut penser aux limites techniques, aux coûts, à la conception. Il y a très peu de différences entre ce que l'on voit dans le réel et la proposition finale gagnante», explique Karim Habib, responsable du design extérieur du Groupe BMW.

Pendant ce travail de dessin, ingénieurs et stratèges travaillent sur des points essentiels de la future voiture: son architecture de base, l'aménagement intérieur, les accessoires, la taille des pare-chocs, le pare-brise, etc. Les esquisses et les dessins doivent répondre aux paramètres d'ingénierie. Cela se fait normalement dans les six premiers mois du travail de design.

Au moment de passer du dessin à la maquette, plusieurs centaines d'esquisses et de dessins auront été produites.

Finis les crayons!

Dessiner une voiture est aujourd'hui du gain de temps et d'argent. Ces 10 dernières années, les délais de production design sont passés de 4 ans à 2 ans.

Même si les «purs designers» aiment encore le papier, la plupart des stylistes et designers travaillent aujourd'hui sur une tablette électronique. Finis les crayons. Le travail sur tablette est plus facile, plus rapide, partageable et imprimable rapidement.

Stylistes ou designers?

Comme le résume Stéphane Lepage, il y a deux types de dessinateurs dans l'industrie automobile. «Les stylistes font ce que l'on appelle des sketches, ils créent une émotion à travers le dessin. Ils font une première ébauche. C'est alors une caricature de la réalité. Puis les designers prennent le sketch pour en faire un modèle industriel», dit cet ancien responsable Style et Conception assistée par ordinateur chez PSA Peugeot-Citroën.

Photo fournie par Chrysler

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ÉTAPE 3: MAQUETTES

Valider, juger puis choisir

Le travail de design ne suffit pas totalement pour donner corps à la réalité. Il faut le valider à une échelle humaine. Ou presque.

Le modèle dessiné retenu doit être adapté à l'état de maquette. Une démarche qui diffère d'un constructeur à l'autre.

Dans les ateliers du Groupe Chrysler, par exemple, on utilise un modèle réduit «le plus longtemps possible», afin de réduire les coûts, avant de faire une maquette grandeur nature.

Le modèle réduit est le plus souvent à une échelle de 1/5, fait de mousse à l'intérieur et recouvert de 50 mm d'argile à l'extérieur pour pouvoir être remodelé. À cette étape-ci, les mesures de la surface du véhicule sont relevées.

La validation se poursuit avec la maquette suivante, cette fois grandeur nature. Elle est habituellement faite d'une structure en bois avec de la mousse à l'intérieur et 75 mm d'argile tout autour pour qu'elle puisse être sculptée manuellement ou mécaniquement.

Pour l'étude de son aérodynamisme, «nous avons une soufflerie pour le modèle réduit et une soufflerie pour le modèle grandeur nature», précise Ralph Gilles, vice-président au design de Chrysler.

Chez BMW, autre exemple, on ne fait pas de modèles réduits. Au nombre de quatre, les maquettes sont grandeur nature. «C'est très important, l'échelle grandeur nature, car c'est la façon la plus directe de juger les proportions», explique Karim Habib, responsable du design extérieur du Groupe BMW.

Cette étape des maquettes permet de déterminer le modèle destiné à la production. On est alors à 90% de faisabilité. Seuls un ou deux designers travaillent encore sur la voiture.

La décision finale du modèle choisi appartient soit au «big boss», soit au comité exécutif du constructeur qui suit la plupart du temps la recommandation du service de design.

Une fois le choix définitivement arrêté, il y a encore six mois de travail sur la maquette pour procéder au raffinement et au développement ergonomique du modèle.

Photo fournie par BMW

Simultanément...

Simultanément à ce travail de maquette, les fournisseurs du constructeur automobile travaillent sur les nouvelles pièces de la future voiture. Le constructeur ne donne au sous-traitant que le strict minimum d'informations, car le véhicule reste confidentiel. Les ingénieurs des fournisseurs ont de l'information au compte-gouttes, d'où la difficulté à concevoir de nouvelles pièces.

Un cahier des charges est également établi pour la production. On y prévoit les horaires, la formation des employés, les coûts, l'outillage nécessaire, les sites futurs ou actuels des usines, etc.

Photo fournie par Chrysler

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ÉTAPE 4: PROTOTYPE

La descendance

Le produit final du travail de design est terminé en moyenne un an et demi avant que la voiture soit sur la route. Le résultat final à l'état de maquette doit laisser sa place au prototype.

Le service de design a transmis ses plans et dessins du modèle choisi à celui de l'ingénierie.

Une fois la maquette grandeur nature définitivement réalisée, le véritable prototype va devenir de plus en plus grand et de plus en plus réel grâce aux ordinateurs. Chaque pièce de la voiture va être créée grâce à l'informatique, du moindre piston à la plus petite pièce de carrosserie. Une fois approuvées, ces pièces sont réunies et assemblées. On utilise l'imagerie 3D pour façonner le modèle tout au long de la création. Le dessin final de chaque pièce est réalisé.

Même pour le prototype, chez la plupart des constructeurs, on réalise les tests d'impact et les tests de soufflerie par ordinateur.

Le prototype d'une toute nouvelle voiture ne sort pas de l'enceinte du constructeur.

Les prototypes que l'on voit dans les grands salons automobiles ont le plus souvent un caractère futuriste prononcé. Ceux-ci ne verront jamais le jour. À de rares exceptions près, ils ne seront pas commercialisés. Leur présence ne vise qu'à tester la réaction du marché, de prendre le pouls du public et des médias. Ils peuvent être aussi une formidable vitrine.

Une fois construit, le prototype fait à peine ses premiers tours de roue qu'il va devoir laisser sa place aux premiers modèles de pré-production. Ces exemplaires sont en quelque sorte les premiers descendants du prototype. Leur durée de vie sera courte. Pas un seul automobiliste ne s'assoiera dedans.

Simultanément...

Les deux années qui suivent le lancement d'un tout nouveau modèle ont été consacrées à la planification et à la préparation de la production.

Trois ans après le début de la conception design, les robots à l'usine vont répéter une chorégraphie sans qu'une pièce soit manipulée. Durant leur programmation, les automatismes se rodent et toute imperfection est traquée par les ingénieurs. Pour chaque machine, il y a un guide d'utilisation. Une ligne de montage fantôme s'entraîne. Nous sommes à six mois de la fabrication.

Photo fournie par Chrysler

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ÉTAPE 5: MISES AU POINT ET ESSAIS

Anomalies et... paparazzis

Le prototype étant la plus belle démonstration de ce que sera un tout nouveau modèle, il n'empêche pas moins qu'il est alors loin d'être parfait.

L'étape de la mise au point et des essais est extrêmement importante et délicate lors de la genèse d'une voiture.

Le prototype a fait des petits, de premiers exemplaires du modèle industriel roulent. Les mises au point et les corrections des moindres détails sont alors effectuées. Plusieurs voitures de présérie, qui ne seront jamais vendues, sont essayées et toutes les anomalies sont répertoriées. Ces dernières se comptent par dizaines, parfois par centaines. Qu'elle soit d'ordre mécanique, esthétique ou aérodynamique, chaque anomalie doit être analysée par le service d'ingénierie.

Lorsque les premiers modèles de présérie roulent réellement, on est en moyenne à six mois de la sortie officielle. À partir de là, il faut terminer les dernières mises au point.

Une fois celles-ci effectuées, le modèle est essayé sur la route dans des conditions réelles. Cette étape s'apparente à une opération commando, car la voiture est toujours inconnue du grand public et des médias et, idéalement, aucune information ne doit filtrer à son sujet.

Deux mesures sont prises habituellement lors de la première sortie sur route. L'essai se fait avec des voitures de la concurrence et le nouveau modèle est caché à la vue, en tout ou en partie. Le tout pour éviter... les paparazzis.

C'est ainsi qu'un convoi un peu exceptionnel sera composé du fameux modèle à venir ainsi que de deux ou plusieurs modèles de la concurrence dans la même gamme, le but étant de faire circuler cette nouvelle voiture le plus discrètement possible.

Tous les moyens sont bons pour garder un secret. Le camouflage est commun dans l'industrie automobile. Conséquence: des photographes se spécialisent dans la traque de nouveaux modèles. Et leurs images fleurissent à l'occasion les portails d'information sur le web.

Le parcours du convoi et de la voiture masquée servira à obtenir les sensations de conduite dans le réel. Et à faire la critique du véhicule afin de corriger les derniers détails.

Car la prochaine étape est la mise en production...

Le défi

Les designers doivent définir à l'avance les lignes d'une voiture qui sera commercialisée trois ou quatre ans plus tard. Comment anticiper?

«On passe du temps à observer les études de styles, les prototypes présents dans les salons automobiles. Il faut être attentif. Vous avez alors un bon aperçu de ce qui arrive. Mais vous essayez aussi d'apporter votre propre solution avec le risque que cela ne marche pas. Si vous suivez la tendance chaque fois, vous risquez d'être en retard chaque fois. On est plus intéressé à faire notre propre design. Et créer quelque chose d'unique, de différent. C'est la partie la plus difficile du travail», concède Ralph Gilles, vice-président design de Chrysler.

Anticiper est à la fois la difficulté et l'art du travail de design. «On a un département Contexte du design qui prend le pouls des tendances dans différents milieux socio-économiques. On essaie en permanence d'avoir un oeil sur tout ce qui se développe dans tous les domaines. Si la voiture est trop en avance sur son temps ou au contraire trop conservatrice, c'est qu'on n'aura pas réussi notre travail», témoigne Karim Habib, responsable du design extérieur du Groupe BMW.

Photo fournie par Ford

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ÉTAPE 6: ASSEMBLAGE

Jeu de construction

Entre la prise de décision de concevoir un nouveau véhicule et les débuts de sa production, il s'est écoulé en moyenne trois à quatre ans. En amont, il a fallu préparer l'usine d'assemblage. En aval, on s'est livré à un véritable jeu de construction.

Préparer une usine automobile à la production s'apparente à un déménagement. «Le temps de préparation de la production varie. Cette voiture qu'est la Dodge Grand Caravan nous a pris plus de 14 mois pour tout retirer de l'usine, puis tout adapter, tout reconstruire à neuf. Vous n'avez plus alors que l'enveloppe du bâtiment. Ensuite, vous mettez tous vos robots, vos machines et vos nouveaux équipements», explique Marcel Breault, directeur de l'usine Chrysler de Windsor, en Ontario.

Car, qui dit nouvelle voiture dit nouvelle chaîne de montage. Une fois établie la planification d'un nouveau modèle, il faut s'assurer que le site d'assemblage puisse produire le véhicule, et ce, au volume voulu.

Les robots et les employés vont répéter leurs gammes lorsque la production sera sur les rails. Un «entraînement» scruté à la loupe par les ingénieurs.

«Une fois l'usine prête, tout est nouveau pour la direction, tout est nouveau pour les ouvriers. Nous commençons donc lentement la production, nous élaborons les standards de qualité, puis nous lançons la production pour le volume requis», ajoute M. Breault, qui est à la tête de la même usine depuis 28 ans.

Un véritable jeu de construction est entrepris, de la tôlerie au contrôle en passant par la peinture et le montage.

Photo fournie par Chrysler

L'exemple de la Dodge Grand Caravan

6560: Le nombre de pièces sur un véhicule comme la Dodge Grand Cravan

24: Le nombre d'heures pour produire une voiture.

26: En kilomètres, la longueur sur laquelle s'étire une ligne de production comme celle de l'usine Chrysler de Windsor.

2: En millions de dollars US, la facture d'électricité mensuelle de l'usine Chrysler de Windsor.

3800: Le nombre de points de soudure qui permettent d'assembler une voiture comme la Dodge Grand Caravan.

1500: La température maximale, en degrés Celsius, du point de soudure.

590: Le nombre de robots aux ateliers de peinture et de montage.

75: Le nombre de moteurs préparés et assemblés à l'heure.

535: Le nombre de robots qui s'activent tous les jours pour assembler les pièces de métal qui constitueront la carrosserie.