Les constructeurs automobiles américains doivent observer avec intérêt les manifestations anti-japonaises qui durent depuis plusieurs semaines en Chine.

À court terme, la flambée patriotique des Chinois contre tout ce qui est japonais pourrait profiter à General Motors, qui est très bien perçue en Chine, qui a un partenariat solide avec le Chinois SAIC, et qui fait des affaires d'or là-bas. Mais à long terme, toutes les firmes américaines (y compris Ford, l'autre gros joueur automobile US en Chine) devraient scruter les événements actuels et prendre des notes: leur tour pourrait venir aussi.

Durant la fin de semaine, ces manifestations impliquant des milliers de personnes ont culminé par l'attaque d'entreprises japonaises installées en Chine, notamment des constructeurs automobiles. Des photos et des vidéos mises en ligne par des manifestants (et rapidement censurées par les autorités ) sur le site internet chinois Weibo ont montré une concession Nissan mise à sac, des voitures Honda et Toyota renversées par la foule et des magasins d'électronique de marques japonaises incendiés.

La rue chinoise: avec la bénédiction de l'État?

Ces manifestations qui pourraient être tolérées et relativement encadrées par les autorités chinoises portent sur un vieux litige territorial entre le Japon et la Chine. Les deux pays revendiquent la souveraineté sur un petit archipel de rochers inhabités perdus dans le sud de la Mer de Chine, que les Chinois appellent Diaoyu et les Japonais, Senkaku. Ces îles se trouvent dans une zone réputée riche en gaz naturel, mais c'est leur valeur symbolique qui excite la ferveur patriotique et la colère de part et d'autre.

La chaîne de télé japonaise NHK a rapporté qu'une dizaine d'usines japonaises ont été occupées par des manifestants samedi dans la ville industrielle de Qingdao, dans l'est de la Chine. Selon NHK, les manifestations anti-japonaises se sont étendues à 72 villes de Chine.

Cette récente flambée, qui dure depuis samedi dernier, est survenue quelques jours après que le gouvernement japonais eut annoncé la nationalisation de l'archipel. Cela a déclenché une protestation officielle de la Chine et des manifestations "spontanées" dans la rue chinoise. Ironiquement, le gouvernement  japonais a agi pour empêcher un projet de rachat par un groupe japonais ultra-nationaliste dirigé par le gouverneur de Tokyo, qui voulait aussi acheter l'archipel mais le coloniser, ce qui jetterait de l'huile sur le feu.

Usines fermées

Honda, Nissan et Mazda ont interrompu leurs activités dans leurs usines et bureaux chinois, pour au moins deux jours, après que des concessionnaires de voitures japonaises eurent été attaqués par des manifestants. Suzuki a fermé une usine de motos. Reuters rapporte qu'après les troubles, des concessionnaires de voitures étrangères - pas juste japonaises - ont décoré leurs bâtiments de drapeaux chinois et de banderoles portant des slogans patriotiques.

Panasonic et Canon ont également interrompu leurs activités.

Des propriétaires de voitures de marque japonaises ont recouvert les écussons de leurs voitures par des écussons de marques chinoises pour éviter d'être pris à partie. D'autres prennent l'autobus et laissent la japonaise dans l'entrée. Un porte-parole de l'Association automobile de Chine a indiqué que l'impact économique d'un boycott des autos japonaises par les consommateurs chinois pourrait être pire que les conséquences du tsunami et de l'accident nucléaire de 2010. Même s'il n'y a pas de boycott, les consommateurs chinois vont peut-être hésiter à acheter une auto qui risque d'être incendiée.

Le poids de l'histoire

Le ressentiment historique des Chinois envers l'invasion et l'occupation brutale de leur pays par l'armée impériale japonaise durant les années 30 et 40 est encore vif. Mais les États-Unis n'ont pas la cote non plus.

Le président Barack Obama vient d'annoncer une plainte commerciale contre la Chine, accusée de subventionner son industrie des pièces automobiles à coups de milliards. Par ailleurs, les Américains ont un rôle historique dans le conflit au sujet des îles Diaoyu-Senkaku. Après la Seconde guerre mondiale, ce sont les États-Unis qui ont cédé le contrôle de l'archipel au Japon, qui est maintenant un allié américain capital dans la région.

Samedi, pendant que la police chinoise laissait passer un nombre limité de manifestants devant l'ambassade du Japon, un autre groupe de manifestants a tenté de se rendre devant l'ambassade des États-Unis. La police leur a bloqué l'accès. Pour cette fois.

Or, à mesure que la Chine augmente sa puissance économique et militaire, d'autres vieux sujets de discorde vont refaire surface, et tous pourraient impliquer indirectement les États-Unis. La Chine a plusieurs revendications territoriales (avec le Viêt-Nam, les Philippines et Taïwan, notamment), dans une zone que les Américains considèrent comme leur sphère d'influence. Tout incident qui entraînerait les États-Unis dans une dispute avec la Chine pourrait mettre les constructeurs américains dans la même position inconfortable que celle de Honda, Toyota, Mazda, Nissan et Suzuki aujourd'hui.

Photo AFP

Honda, Nissan et Mazda ont interrompu leurs activités dans leurs usines et bureaux chinois, pour au moins deux jours, après que des concessionnaires de voitures japonaises eurent été attaqués par des manifestants.

Et les États-Unis ont un différend majeur avec la Chine au sujet de Taïwan, la grande île capitaliste et relativement démocratique qui a conservé son indépendance de la Chine communiste après la Seconde guerre mondiale, grâce au soutien militaire ininterrompu des États-Unis depuis les années 40. Or la Chine considère Taïwan comme une province en sécession illégale.

C'est un contentieux autrement plus important que les îlots rocheux qui excitent aujourd'hui la fibre nationaliste chinoise.

Le jour où cet enjeu-là deviendra un conflit, General Motors et Ford trouveront ça moins confortable de vendre des autos en Chine.

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C'est leur valeur symbolique des îles de Senkaku qui excite la ferveur patriotique des Chinois.