Avril 1964. L'Amérique vit une période d'une rare effervescence. Le Sud est embrasé par les tensions raciales. Le président Lyndon B. Johnson, nouvellement en fonction, s'apprête à signer le Civil Rights Act afin de se donner des outils pour combattre la ségrégation raciale. Il y a aussi le Viêtnam, un bourbier dans lequel le pays se lancera réellement après les événements du golfe de Tonkin, en août. Le mois marque aussi la naissance d'une des voitures américaines les plus marquantes de l'histoire: la Mustang.

Son nom, savamment choisi, renvoyait à l'avion de combat P-51 Mustang, symbole hégémonique de l'armée de l'air américaine lors de la Seconde guerre mondiale. Le terme, emprunté aussi à un cheval sauvage du Midwest, symbolisait l'aventure, la liberté, des thèmes chers aux baby-boomers, enfants de l'après-guerre qui entraient dans la vingtaine, la clientèle visée de front.

La Mustang était aussi le projet fétiche de l'ingénieur Lee Iaccoca. Le vice-président de Ford à l'époque voyait le potentiel énorme du modèle. Il privilégiait l'approche «grand public», une directive qui prenait forme dans les prémisses du mandat de l'équipe affairée à la conception. Ford employait le terme personal car pour qualifier la voiture en gestation. Elle devait coûter peu cher à produire, être relativement agréable à conduire et pratique.

Le succès inespéré

Ford fondait beaucoup d'espoir sur sa protégée et voulait faire de son lancement un événement. Le constructeur avait donc choisi la Foire internationale de New York comme tremplin pour présenter la Mustang au monde, un 17 avril. Lee Iaccoca fait la couverture du magazine Time, la journée même du dévoilement.

Son châssis, aux origines bien humbles, avait été emprunté à la Ford Falcon, une compacte lancée au début de la décennie pour concurrencer les Chevrolet Corvair et Plymouth Valiant. Avec une longueur qui ne dépassait pas les 4,6 m, la voiture était à peine plus élancée qu'une Ford Fiesta 2014 berline (4,4 m).

Ford tablait évidemment, pour articuler sa mise en marché, sur le prix, affiché à moins de 1$ US par livre pour la version de base (2368 $US pour 2572 lb). Il y avait aussi le design, sportif, signé Donald Frey, intemporel et simple. Phares ronds, grille rectangulaire, feux arrière en trois phases, ligne de caisse basse, elle séduisait et se démarquait de la meute dès le premier coup d'oeil.

Ford misait également sur la capacité de la Mustang à s'adapter au goût de l'acheteur. Si elle était proposée de base lors de l'année-modèle 1964 1/2 avec un six-cylindres en ligne de 170 po3 (101 ch), c'est aux V8 de 260 po3 (164 ch) et de 289 po3 (210 ch) qu'incombaient le mandat de transformer en sportive. La formule a été gardée pour l'ensemble de sa carrière.

La Mustang fait malheur dès sa mise en marché comme modèle 1965. La haute direction de Ford prévoyait vendre tout au plus 100 000 exemplaires lors de sa première année de vie. Ce sont plutôt 417 000 unités qui ont été écoulées durant les 12 premiers mois. Ainsi, la voiture atteint rapidement l'échelon d'objet culte auquel on liera le nom d'une toute nouvelle race de voitures, les pony cars.

Le reste appartient à l'histoire. Malgré le fait qu'elle soit passée très près de mourir à au moins deux reprises, elle a survécu, soutenue par un réseau de fanatiques particulièrement solide et fidèle et à une faculté indéniable d'adaptation.

Jusqu'à présent, Ford a vendu plus de neuf millions de Mustang, un chiffre cumulatif de l'ensemble des cinq générations.