«Si tu ouvres un atlas et que, par hasard, tu tombes au bout de l'Asie, sache que non loin de Saigon se trouve une 2CV qu'il faudra bien un jour rapatrier en France (...). Dans une boîte nouristanie, souvenir d'Afghanistan, nous conserverons les clefs de Bucéphale. Elles sont à qui voudra bien les récupérer (...).»

De retour en France après avoir parcouru 16 000 km au volant d'une 2CV entre Paris et Saigon, Édouard Cortès et Jean-Baptiste Flichy lancent ce défi, à la fin de leur livre relatant leur voyage - Paris Saigon -, à quiconque tenté par l'aventure. En 2006, un an après la sortie du bouquin, un jeune Nantais monte à Paris récupérer les clefs de cette Citroën. Malgré les 150 appels reçus chaque mois, Cortès et Flichy n'ont jusqu'alors vu personne. Jusqu'à ce que Tristan Villemain frappe à leur porte.

«À la fin de leur voyage, Cortès et Flichy avaient laissé la voiture en 2003 ou 2004 à un Cambodgien pour 1$ par jour. Elle était à cheval sur la frontière entre le Vietnam et le Cambodge dans un champ derrière un restaurant. Il fallait aller au Cambodge vérifier si la voiture était encore là-bas. Cela m'a pris une journée complète de négociation pour la récupérer», explique Tristan, 23 ans.

À peine ses études de vente terminées, il se lance dans la préparation du projet durant toute l'année 2008. «On pensait juste ramener la voiture par la même route et non faire un tour du monde.» «On», parce que, entre-temps, un ami de longue date, Quentin Renaud, décide de l'accompagner dans l'aventure. Il vient d'abandonner travail et appartement.

Pour ce charpentier de 27 ans, la mécanique est une découverte: «La mécanique, cela s'apprend vite, c'est hyper simple sur la 2CV, c'est comme un Solex mais avec deux pistons.»

Apprendre vite pour épauler son comparse passionné par la chose, il le fallait. Car Bucéphale, baptisée ainsi en référence au cheval d'Alexandre le Grand, a besoin d'une sérieuse cure de rajeunissement avant de prendre la route. La 2CV 6 1977, complètement décapotée, va en fait bénéficier du moteur et du châssis d'une «donneuse» et des pièces de cinq autres de ses congénères. La carrosserie reste d'origine. Pour mieux répartir le poids et équilibrer le véhicule, le coffre est laissé presque vide alors que sur la banquette arrière s'entassent sacs à dos, tente, glacière, sac de mécanique, bidons d'essence et d'eau.

Et c'est ainsi que Bucéphale s'en est allée pour un tour du monde qui devait initialement durer «six mois», pensaient ses deux passagers... Un an plus tard, ils sont à Montréal. Après avoir traversé l'Asie du Sud-Est, sillonné l'Australie, remonté le Chili, fait un crochet par la Bolivie, le Pérou, l'Équateur, la Colombie, arpenté l'Amérique centrale et atteint les États-Unis.

En chemin, après s'être très bien comportée en Asie, Bucéphale a crevé son premier pneu dans le désert australien après 5000 km de route. C'est dans l'île-continent que l'allumage a cassé pour la première fois. «On a changé les pivots à Santiago du Chili», dit Quentin. Elle a eu des problèmes de freins au Pérou. «On a déjanté sur les routes de l'Amérique centrale, on y a tordu les bras de suspension», ajoute Tristan. Et, bien entendu, Bucéphale «a bu toutes les essences, tous les octanes du monde».

Et en a vu de toutes les couleurs. Comme à la frontière panaméenne. La traversée de la jungle du Darien étant impossible en raison de la présence des Forces armées révolutionnaires de Colombie et de la forêt dense, il a fallu rallier le Panama à bord... d'un petit bateau de pêche.

Comme la voiture suscitait la curiosité sur son passage, la solidarité s'est rapidement manifestée. Mais c'est surtout grâce au réseau des «Citroënistes» que les deux voyageurs ont pu poursuivre leur route. Les amateurs et propriétaires de Citroën, et de dodoches en particulier, sont nombreux dans le monde. C'est en Australie que les deux Français ont découvert l'ampleur du phénomène. À partir de ce moment-là, réparations, itinéraire, hébergement sont devenus plus faciles à faire et à trouver.

«Il y a même eu des moments, comme à New York, où les gens travaillaient sur la voiture bénévolement. Je n'avais pas à mettre les mains dedans. (...) Les gens nous donnent toujours des pièces», témoigne Tristan.

Si la 2CV est connue des amateurs de voitures dans de très nombreux pays, le commun des mortels croit souvent qu'il s'agit d'une Volkswagen, d'un «autre modèle de Coccinelle», d'après les deux baroudeurs. Et la voiture est un aimant leur permettant «de rentrer chez les gens, dans leur vie».

Gloire à la dodoche au plus haut de ses essieux!

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