Ce n'est pas tous les jours que le Dalaï Lama accepte de paraître dans une publicité d'autos.

Fiat a réussi à convaincre le visage international de la non-violence bouddhiste de participer à une publicité d'une de ses filiales, Lancia, qui a été diffusée en Europe durant la fin de semaine dernière. La publicité avait été tournée et montée quelques heures avant, à Hiroshima, au Japon, où le Dalaï Lama s'est adressé au 11e Sommet mondial des lauréats du Prix Nobel de la paix.

La publicité de Lancia est très peu orthodoxe, selon nos critères nord-américains, où on préfère des faiseurs de miracles comme le gardien de but Carey Price (qui fait la pub d'un concessionnaire Ford de Longueuil) aux leaders religieux. Le spot publicitaire de Lancia salue la récente libération de l'activiste et politicienne birmane pro-démocratie Aung San Suu Kyi et y associe la marque de voitures.

Mme Suu Kyi, elle aussi lauréate du Prix Nobel de la Paix, vient d'être libérée après sept années d'assignation à résidence par la junte militaire au pouvoir en Birmanie. Le chef spirituel et temporel des Tibétains en exil a accepté de participer à la publicité de Lancia «en soutien à sa collègue privée de liberté» durant sept ans et enfin libérée, a indiqué à La Presse Olivier François, chef de la direction des marques Chrysler et Lancia, et patron international du marketing pour toutes les divisions de Fiat et Chrysler.

Lancia est commanditaire des sommets annuels des Nobel de la Paix et avait lancé en 2009 une campagne publicitaire à la limite de l'activisme politique pour faire libérer Mme Suu Kyi. On y voyait déjà une photo de Nelson Mandela et des apparitions filmées d'autres Prix Nobel de la Paix, mais pas du Dalaï Lama.

Le week-end dernier, Lancia a commencé à diffuser la nouvelle publicité simultanément à l'ouverture du Sommet, mais seulement en Europe. Elle n'est «pas pour utilisation aux États-Unis», a écrit M. François lundi, lors d'un échange de courriels avec La Presse.

La publicité montre une brochette de Prix Nobel de la Paix, notamment Mihaïl Gorbachev et Lech Walesa, accueillis au sommet et descendant de voitures fournies par Lancia (qui assume le transport des dignitaires de la conférence).

Lancia surfe sur le soutien à Mme Suu Kyi...

M. François croit que c'est un bon coup pour Lancia d'avoir convaincu le Dalaï Lama, extrêmement populaire en Occident, de participer aussi à cette publicité. Cela lui permet désormais d'associer Lancia à une demi-douzaine de Prix Nobel de la Paix: «Et maintenant, nous diffusons la première publicité avec le Dalaï Lama», s'est réjoui M. François dans les pages du quotidien Detroit News.

Par contre, le patron de Chrysler a probablement tiqué en lisant dans le journal que l'initiative venait du Dalaï Lama et que c'est ce dernier qui lui avait écrit un courriel lui demandant de participer à l'annonce. «Évidemment, le Dalaï Lama n'a pas "demandé" à être dans la publicité mais a ACCEPTÉ notre demande d'y participer en soutien à sa collègue privée de liberté», a écrit M. François à La Presse.

L'an dernier, Chrysler avait diffusé en Amérique du Nord une publicité semblable, avec la Chrysler 300. Aux États-Unis, Chrysler a été critiquée pour cette pub, entre autres parce qu'on reprochait au nouvel actionnaire de contrôle, Fiat, d'avoir recyclé une publicité de Lancia faite en 2009, en plaquant des images d'une Chrysler 300 à la place des Lancia de l'annonce originale. De plus, comme Chrysler venait tout juste de demander des milliards d'aide aux gouvernements américain et canadien, et on a reproché à la compagnie de payer une agence de pub italienne avec l'argent des contribuables. Ces reproches se sont éteints quand M. François a indiqué que l'agence de publicité italienne avait donné son temps et que la publicité n'avait pas coûté un rond à Chrysler.

La pub associant la Chrysler 300 à campagne pour faire libérer Mme Suu Kyi est disparue des ondes américaines peu après la mini-controverse, mais la compagnie n'a pas renié son appui public à la cause de la dissidente birmane.

...et lévite sur l'appui du Dalaï Lama

La semaine dernière, quand l'opposante au régime militaire de Birmanie a été libérée, M. François a dit avoir reçu un courriel qui lui a manifestement fait plaisir, en plus de l'appui du Dalaï Lama. Le patron de Chrysler et de Lancia a indiqué à La Presse avoir reçu un courriel du représentant d'Aung San Su Kyi à Washington, lui signifiant l'appréciation pour l'appui de Chrysler-Fiat (le seul donné par une compagnie à cette cause).

On peut être d'accord ou pas avec l'idée de mêler les ventes d'autos avec la cause d'une opposante à un régime totalitaire. Mais l'implication de Lancia et de Chrysler est une rareté, dans un monde où les multinationales sont souvent accusées de ne pas tenir compte des droits humains dans les pays où ils font affaire. Après cette campagne, les deux compagnies-soeurs n'ont sûrement pas espoir de vendre beaucoup de voitures en Birmanie.

Mais c'est un petit pays sous-développé et un marché automobile négligeable. On verra si l'apparition du Dalaï Lama dans une publicité de Lancia aura un impact sur les ambitions de Fiat et de Chrysler en Chine. Dans ce pays, le leader tibétain est persona non grata parce qu'il conteste la légitimité de l'autorité chinoise sur le Tibet.

Photo AP

Aung San Suu Kyi, lauréate du Prix Nobel de la Paix, a été libérée samedi après sept années d'assignation à résidence par la junte militaire au pouvoir en Birmanie.