Les Chinois ont-ils réellement les capacités d'acheter quoi que ce soit dans l'industrie automobile américaine? Ou inversons la question: les Américains ont-ils vraiment envie de vendre une seule de leurs compagnies aux Chinois?

Le patron de Ford, Alan Mulally, affirme que les pourparlers pour vendre la filiale suédoise Volvo au chinois Geely progressent mais son vis-à-vis chez Geely exprime publiquement des doutes sur la conclusion de la transaction.

Le president du holding qui détient Geely, Li Shufu, a declaré au quotidien new-yorkais Wall Street Journal que les négociations sont «très dures» et que «la situation change constamment». Interviewé en marge d'une cérémonie dans une université de Pékin, M. Shufu a affirmé que «si la transaction avorte, le problème n'est pas de notre bord», avant d'ajouter, sans donner aucun détail : «Nous n'avons violé aucune partie de l'entente ».

Le patron de Ford, qui se trouvait justement en Chine le même jour, a exprimé une perception plus positive : «Nos négociations progressent», a-t-il dit lors d'une entrevue à Shanghaï.

Ford espère signer la vente de Volvo à Geely d'ici la fin mars, selon des sources au fait des pourparlers, citées par l'Agence Bloomberg News.  Par contre, le quotidien China Daily rapportait mercredi que le financement et des enjeux sur le transfert de technologie pourraient retarder la vente.

Ford n'est plus en position de faiblesse

Le journal chinois note que Geely n'est plus en position de force dans les négociations. L'an dernier, Ford avait des problèmes d'encaisse, mais ce n'est plus le cas maintenant. Ford, qui a renoué avec les profits et restructuré sa dette, a du comptant en banque.

Le transfert technologique est un problème très épineux depuis le début des négociations. Ford veut protéger sa technologie et vendre seulement celle de Volvo. Mais les plusieurs modèles ont de la technologie commune (la S40 de Volvo et la Ford Focus ont la même plateforme, tandis que la S80 and the Ford Mondeo en partagent une autre), a fait remarquer un expert du marché automobile chinois: «Si Geely ne parvient pas à obtenir la technologie de ces plateformes, la transaction n'aura pas beaucoup de sens», a dit au China Daily l'analyste John Zeng, analyste au bureau de Shanghaï du cabinet d'experts-conseils en études de marché Global Insight.

Et le financement de 2,1 milliards de dollars obtenu par Geely est en partie de l'argent gouvernemental, qui pourrait prendre du temps à être versé. Bref, une autre complication possible.

Officiellement, les constructeurs automobiles demeurent engagés à ce que la transaction se fasse et leurs intentions ne font pas de doute.

Ford a mis Volvo en vente en 2008, dans le cadre de sa stratégie de se délester de ses marques de luxe européennes et de se concentrer sur la marque Ford à travers le monde (Aston Martin, Land Rover et Jaguar sont déjà vendues).

Avec Volvo, Geely obtiendrait l'accès à la technologie du réputé constructeur suédois, ainsi que, justement, sa réputation et son image de marque... en Chine. La réaction épidermique du public européen, face à Geely, est que Volvo serait un cheval de Troie chinois en Europe. Il y a du vrai là-dedans, mais Geely s'intéresse surtout à Volvo pour ce que cette marque peut faire pour elle sur son marché national, en Chine, où les Volvo sont considérées comme des voitures supérieures.

Comme Hummer?

Si la transaction avortait, ce ne serait pas la première fois qu'une compagnie chinoise se serait approchée des buts sans réussir à mettre la rondelle au fond du filet. Tous ont en encore en tête la tentative du chinois Sichuan Tengzhong Heavy Machinery d'acheter à General Motors la filiale Hummer. Malgré l'annonce d'une entente de principe avec GM, Tenghzhong n'a pu conclure la transaction et a battu en retraite il y a quelques semaines.

Rappelons aussi qu'un autre constructeur chinois, Beijing Automotive (BAIC), avait participé à une tentative, elle aussi avortée, d'acheter à GM l'autre suédoise moribonde, Saab. BAIC devait apporter du soutien financier et technique à Koenigsegg Automotive, l'acheteur principal, qui s'est désisté.

Le choix de Geely comme acheteur et exploitant de Volvo avait suscité du scepticisme dans l'opinion publique, même en Chine, parce que Geely était jusqu'à récemment un assembleur n'ayant pas sa propre marque et parce que la qualité de son travail, il y a deux ou trois ans à peine, était mauvaise. L'automne dernier, le China Real Time Report notait que Geely avait la réputation «de ne pas être capable d'aligner deux plaques de tôle comme du monde» et avait intitulé un article «Geely est-elle capable de gérer Volvo?» (La réponse du journal était: maintenant, oui, la compagnie a engagé des cadres de très haut calibre, elle met maintenant 8% de ses revenus annuels dans le développement et a engagé 1200 ingénieurs logés dans un impressionnant complexe de recherche et développement flambant neuf).

Mais les doutes exprimés cette semaine par M. Shufu, le patron de Geely, soulèvent des questions. Cette phrase: «Si la transaction avorte, le problème n'est pas de notre bord», est-ce juste une façon de mettre de la pression sur Ford? On verra.

Cela étant, l'Agence Bloomberg cite Vivien Chan, analyste chez Valeurs mobilières SinoPac, à Hong Kong: «C'est peu probable que la transaction avorte. Les deux compagnies ont mis énormément de travail dans l'affaire et ils ont réussi à franchir plusieurs obstacles.»