Après quatre années de bagarre commerciale et de zizanie familiale, le numéro un européen de l'automobile, l'Allemand Volkswagen, va s'emparer de son compatriote constructeur de bolides de luxe, Porsche.

Cette décision a provoqué le départ du patron de Porsche, le charismatique Wendelin Wiedeking, sûrement un des meilleurs pdg automobiles au monde et qui passait comme le chef d'entreprise le mieux payé d'Allemagne.

 

Le conseil d'administration du holding Porsche SE (qui possède 100% de Porsche SA, le constructeur automobile comme tel) a fini par se mettre d'accord au terme d'une réunion marathon, entamée mercredi et achevée jeudi au petit matin. Volkswagen, dont le holding Porsche SE détient 51%, a suivi quelques heures après.

«Nous avons aujourd'hui ouvert à la voie(...) à la création d'un groupe intégré», a commenté Martin Winterkorn, le patron de Volkswagen à l'issue de la rencontre organisée à Stuttgart. M. Winkerton est le grand gagnant du bras de fer de quatre ans avec son rival, M. Wiedeking.

Ce dernier a annoncé sa démission ce matin.

Il était clair depuis longtemps qu'il n'y avait pas assez de place au sein d'une union Volkswagen-Porsche pour les deux patrons, MM. Wiedeking et M. Winkertorn. Après le départ du président de Porsche, son rival M. Winkertorn est favori pour diriger le groupe allemand, qui est peut-être déjà le No 2 mondial de l'automobile, derrière le japonais Toyota, devant l'américain General Motors, en effondrement. (Les chiffres officiels ne le confirment pas encore, mais la plupart des analystes estiment que GM se retrouvera en troisième place quand la poussière sera retombée.)

Le projet des deux entreprises prévoit à la fois d'intégrer complètement Porsche au sein de VW, et de renforcer sa structure financière, tout en lui aménageant un minimum d'indépendance.

Les fabricants de la Golf et de la 911 profiteront tous deux de leur intégration, a dit le patron de Volks, M. Winterkorn. Un fonds de l'Émirat du Qatar (une petite pétro-monarchie qui baigne dans les dollars) acquerra 17% de Volkswagen, et sera le troisième actionnaire en importance de la firme de Wolfsburg.

La fusion des deux firmes allemandes a pris des allures de la série télé Le Coeur a ses raisons, depuis quatre ans et surtout, durant les derniers mois.

Le président de Porsche, après avoir fait de Porsche un des constructeurs automobiles les plus rentables au monde, a exécuté en 2005 une stratégie risquée visant à prendre le contrôle de Volkswagen.

Si M. Wiedeking avait réussi, l'acquisition du géant Volks par la petite Porsche aurait été une des prises de contrôle les plus audacieuses et extraordinaires de l'histoire. Volks, qui produit plus d'autos en une semaine que Porsche en un an, ne s'est pas laissé faire et a fini par avoir le dernier mot.

Mais il s'en est fallu de peu. Une structure compliquée d'emprunts internationaux s'est effondrée sur Porsche et son président, M. Wiedeking, quand la crise financière a fait peur à ses bailleurs de fonds et tari les revenus du constructeur de voitures sport.

La saga qui a suivi a été pénible par moments. Elle a été rendue aussi compliquée qu'une intrigue d'espionnage par les rivalités byzantines entre les familles Porsche et Piëch, qui détiennent 100% du holding Porsche SE, qui détient Porsche SA, le constructeur automobile en tant que tel.

Le fait que ce holding Porsche SE détenait aussi une partie des actions de Volkswagen n'a pas simplifié le dénouement de ce suspense d'entreprise aux allures de psychodrame familial. Durant les dernières semaines, alors que survenaient sans cesse des rebondissements, plusieurs commentateurs dans les journaux allemands ont noté que l'affaire commençait à être gênante pour tout le monde.

Outre savoir qui contrôlerait qui, Volks et Porsche se sont chamaillés sur la manière d'assumer la dette de 10 millions d'euros de Porsche. Des questions d'impôt ont aussi fait dérailler la transaction cette semaine.

Depuis quelques temps, il semblait bien que M. Wiedeking avait perdu la partie et des médias allemands ont rapporté depuis une semaine qu'il négociait sa sortie.

Wendelin Wiedeking et son directeur financier Holger Härter, artisans de cette stratégie, ont démissionné en échange d'indemnités de départ de respectivement 50 et 12,5 millions d'euros.

M. Wiedeking, qui aurait touché environ 80 millions d'euros l'an passé, a aussitôt précisé qu'il allait en dédier plus de la moitié à des oeuvres sociales. Notamment 1,5 million pour des «journalistes dans le besoin».

Ses adieux aux employés, ce matin, ont été émotifs.

M. Wiedeking n'a pu retenir ses larmes après avoir été accueilli par un tonnerre d'applaudissements, de hourras et de coups de klaxon émis par 5000 travailleurs d'usine venu l'entendre sous la pluie à la principale usine de Porsche à Stuttgart.

S'adressant à eux, Wiedeking a affirmé qu'il avait décidé durant le week-end qu'il était temps de quitter la compagnie. Il a ajouté qu'il verserait la moitié des 50 millions d'euros de son indemnité de départ à une fondation caritative pour les travailleurs de Porsche... ainsi que 1,5 millions d'euros pour des «journalistes dans le besoin», ajoute l'Agence France-Presse.

«Discours mauditement difficile»

«Vous rendez ce discours mauditement difficile» a-t-il dit en réponse aux acclamations de ses employés. «Sans vous, je ne serais rien.»

L'actuel No 2 chez Porsche, Michael Macht, succédera à M. Wiedeking à la tête du constructeur de bolides. Il s'est engagé à poursuivre la stratégie élaborée durant le règne de M. Wiedeking.

À la fin de son allocution, M. Macht a serré M. Wiedeking plusieurs fois dans ses bras, tandis que l'un des principaux actionnaires, Wolfgang Porsche, retenait ses larmes.

Le siège social de Porsche demeurera à Stuttgart, a dit le premier ministre de la province de Basse Saxonie, Christian Wulff.

La fusion de VW et de Porsche est un sujet qui revenait périodiquement dans l'actualité économique allemande. Les deux firmes ont une lignée commune et plusieurs partenariats industriels.

Mais M. Wiedeking s'est toujours opposé à ce que Porsche se vende à Volks. Quand il a été nommé à la tête de Porsche en août 1993, la firme était au bord de la faillite. Il l'a transformée, mêlant l'ingénierie allemande avec certaines méthodes d'assemblage d'inspiration japonaise. Dès 2002, Porsche était devenu le constructeur aux plus hautes marges de profit au monde.

En 2005, Porsche s'est mise à acheter des actions de Volks, utilisant les profits de Porsche et beaucoup d'argent emprunté. La métaphore du David contre Goliath a mal tourné avec la récente crise financière et a brutalement pris des allures de la fable de grenouille et le boeuf.

M. Wiedeking a vu Porsche perdre le contrôle de sa dette et il a dû se tourner vers les deux familles d'actionnaires, les Piëchs et les Porsche. Tous n'ont pas apprécié. On sait notamment que le patriache Ferdinand Piëch, petit-fils du fondateur Ferdinand Porsche (le concepteur de la Coccinelle), avait M. Wiedeking dans le collimateur.

Ce dernier a dû aller faire la cour aux émirs du Qatar.

En fin de compte, les deux familles ont décidé d'injecter 5 milliards d'euros dans Porsche, tandis que Volkswagen prendra à sa charge une partie importante des dettes de Porsche (8 millions d'euros sur sa dette totale de 10 millions, rapportait cette semaine un quotidien allemand). Un fonds d'investissement du Qatar prendra 17 % des actions de la nouvelle firme réunie et, pour le moment, fournira 750 millions d'euros en fonds d'urgence.

Porsche, qui fait plus d'argent sur chaque auto qu'elle vend que tout autre constructeur, a généré une marge d'exploitation de 13 %, bien mieux que le 1,5% de BMW et les 5,9% de Volkswagen, note l'agence de presse Bloomberg.

D'après AFP et autres agences