«Bob Lutz dit toutes sortes d'affaires. Mais il travaille pour moi.» C'est par cette déclaration attribuée au président de GM, Fritz Henderson, que s'est terminé un rare et très public (et très divertissant) épisode de mauvaise communication entre deux hauts cadres de General Motors, cette semaine.

Des propos contradictoires au sommet, de M. Henderson et de son vice-président, Bob Lutz, ont duré juste assez longtemps pour rappeler à tous les indiens de la tribu GM qu'il y a juste un chef en haut du totem.

Conclusions: le chef, c'est Fritz Henderson. Et le vice-président Bob Lutz? C'est juste un indien. Même si ce personnage coloré est immensément populaire chez GM, en plus d'être la darling absolue des chroniqueurs automobiles américains.

M. Lutz, un énergique vétéran de 77 ans réputé pour son franc parler, s'est fait remettre à sa place par son patron avec un certain tact... mais une fermeté certaine.

Revenons un peu en arrière.

Durant quelques semaines, surtout durant la semaine fébrile qui a précédé la naissance du «Nouveau GM» vendredi dernier, il y a eu un flottement chez GM au sujet de l'avenir nord-américain de la Pontiac G8. La G8 est une voiture déjà fabriquée par la filiale australienne de GM, Holden Motors. Avant de se restructurer en catastrophe sous la protection du la Loi sur la faillite, GM avait importée cette Holden aux États-Unis sous l'appellation Pontiac G8.

Ce projet a été mis à la poubelle quand GM a décidé de tirer la chasse sur sa marque Pontiac au grand complet. Mais la G8 avait suscité beaucoup d'intérêt chez certains maniaques américains de voitures, surtout ceux qui ne jurent que par les grosses berlines musclées et propulsées par les roues arrières.

Une sorte de campagne de pression est née dans les médias et sur les blogues automobiles spécialisés, pour que GM garde la G8 sous un autre nom.

Il est certain que la chose était souhaitée par certains cadres de GM, qui en ont en assez parlé (anonymement) pour que l'hypothèse soit évoquée par de nombreux chroniqueurs automobiles partout en Amérique du Nord.

La rumeur a pris assez d'ampleur pour que Fritz Henderson lui même prenne la peine de la contredire la semaine dernière en disant que non, GM n'avait aucun projet pour la G8.

Puis, vendredi dernier, Bob Lutz a sorti de sa retraite et été carabiné vice-président «responsable de la créativité des produits et des relations avec les consommateurs» de GM. Il a alors fait ce qu'il fait souvent, soit dire ce qu'il pense. En l'occurrence, il a écrit un texte sur son blogue dans lequel il décrivait la G8 comme «un modèle trop bon pour qu'on la laisse mourir», ajoutant que GM devrait la rebaptiser «Chevrolet Caprice» et la positionner comme berline spacieuse semi-sportive, tout en essayant d'en vendre aux corps de police.

Notre as-chroniqueur Éric Lefrançois a d'ailleurs suivi cette histoire et écrit sur le sujet.

Aux lecteurs de La Presse qui ne suivent pas le secteur automobile, il vaut la peine, ici, de dire que Bob Lutz est un enthousiaste animé d'une vraie passion pour les bagnoles. Ce sont des caractéristiques qui le rendent unique et particulièrement indispensable chez GM, avec sa hiérarchie totalement dominée par le président et sa culture corporative très conservatrice, axée sur les finances. Les ingénieurs, les designers et les autres libres penseurs du Tech Center GM de Warren, au Michigan, le vénèrent. La presse spécialisée le compare souvent à Lee Iaccocca, l'ancien patron de Ford, puis de Chrysler.

Le fait que Lutz ait survécu si longtemps chez GM, malgré sa tendance à dire ce qu'il pense tout haut, en fait une énigme et une exception. Ce n'est pas pour rien que Fritz Henderson l'a sorti de sa retraite et l'a nommé comme vice-président.

Mais comme le savent tous les Canadiens qui ont déjà travaillé pour une multinationale américaine, on ne contredit pas le président.

Et quand le magazine Autoblog a demandé à M. Henderson de commenter cette contradiction entre ses propos et ceux de M. Lutz, il a d'abord répondu avec diplomatie : prendre une auto existante et la recommercialiser sous un autre nom ne marche pas, a-t-il dit. «Je ne crois pas à ça. On a jeté un coup d'oeil pour voir s'il y aurait un potentiel en tant que voiture de police; ça n'ira pas plus loin.»

Mais selon le magazine Jalopnik.com, M. Henderson a ajouté ceci : «Bob Lutz dit toutes sortes d'affaires. Mais il travaille pour moi

Hier, Bob Lutz a acquiescé le message du boss. Dans son blogue, il a écrit qu'il croit toujours que la G8 est un produit formidable, mais qu'après avoir étudié en profondeur le dossier, «la G8, en fin de compte, ne deviendra pas la Caprice».

M. Lutz écrit que le plan d'affaires d'une telle voiture ne marche pas, «pas dans le marché d'aujourd'hui, pas dans l'économie actuelle, pas avec le prix de l'essence qui s'en vient.» Et pas avec un boss qui n'en veut pas.



Sources : GM; Automotive News; Jalopnik.com