Quand Clotaire Rapaille a commencé sa carrière, il suivait des enfants autistes en Suisse. Le pédopsychiatre parisien avait concocté une intervention sur les liens entre émotions et langage, pour aider les enfants à apprendre le français, l'allemand et l'italien, les trois langues officielles du pays. Il partait du principe que chaque langue, chaque culture, a un «code» émotionnel différent.

À la fin d'une conférence dans une école, un parent est venu le voir pour lui présenter un client. Le Dr Rapaille pensait qu'il s'agissait d'un autre enfant. Mais c'était plutôt la multinationale Nestlé, qui voulait son aide pour implanter la culture du café au Japon.

 

Ce virage professionnel radical a transformé le pédopsychiatre français en vedette du marketing, et en particulier du monde automobile. C'est lui qui a imaginé la forme du célèbre PT Cruiser. Il a aussi mis au point plusieurs campagnes de publicité, en modifiant radicalement le message en fonction des différents pays visés. L'an dernier, il a publié en France son livre Culture code, d'abord paru en anglais.

Le cerveau reptilien

La clé de son approche, c'est de miser sur le cerveau «reptilien». «C'est la partie de notre cerveau qui est liée à la première empreinte de la culture, et qui est plus puissante que tout raisonnement, dit le Dr Rapaille en entrevue de Paris, où il habite quand il ne se trouve pas à ses bureaux en Floride. On n'apprend rien s'il n'y a pas l'émotion, et cette émotion est préorganisée par la culture. En français, par exemple, il n'y a pas de neutre, la lune est un mot féminin et le soleil un mot masculin. En allemand, c'est le contraire. La lune et le soleil, de même que les mots neutres en allemand, ne sont pas associés aux mêmes émotions dans les deux cultures.»

Pour ce qui est de la PT Cruiser, Chrysler lui avait demandé de créer une voiture-culte. «J'ai tout de suite pensé à la voiture de gangster du Chicago d'Al Capone. Une voiture telle qu'un Américain dit: «Je connais cette voiture-là» en la voyant pour la première fois.»

Quelles sont les voitures-cultes d'autres pays? «En Angleterre, la Land Rover fait référence au gentleman-farmer, une figure très importante, poursuit le Dr Rapaille. Les Français vont privilégier l'idée: la 2CV était horrible mais elle était géniale par sa suspension, et la DS se distinguait par sa suspension hydraulique. Les Allemands veulent le perfect engineering. Il faut une semaine de cours pour comprendre comment faire fonctionner la radio, mais ça ne les dérange pas parce que les Allemands vont lire le manuel d'un bout à l'autre.»

Et au Québec, qui se distingue par une relative popularité des petits modèles et de la transmission manuelle, par rapport au reste de l'Amérique du Nord? «Avec votre hiver, il vous faut une voiture bien adaptée. Les voitures énormes ne sont pas nécessaires, donc elles ne sont pas populaires. Il y a aussi une dimension éthique: le Québec a évolué depuis l'époque où l'Église était toute-puissante, mais il demeure répréhensible de trop montrer sa richesse, par exemple avec une grosse voiture. Pour ce qui est des transmissions manuelles, il ne faut pas trop mettre l'accent sur la dimension sexuelle. Mais je pense néanmoins que la transmission automatique va dans le sens d'un effacement des différences entre les sexes, de la rectitude politique.»

Intérêt pour le Québec

Le Dr Rapaille a un intérêt particulier pour le Québec parce que sa mère lui chantait le Petit bonheur de Félix Leclerc quand il était petit. Il travaille même à un ouvrage sur le code culturel québécois.

L'approche du «code culturel» permet-elle de comprendre les difficultés actuelles des constructeurs de voitures américains? «Les Américains ont perdu avant que les Japonais ne gagnent, dit le pédopsychiatre. Ils ont perdu leur code de référence. Avant, les voitures américaines avaient une identité: les Mustang, les Cadillac. Petit à petit, ils ont commencé à faire des voitures génériques qui ressemblaient à tout. Quand ils ne savaient pas quoi faire avec une voiture, ils changeaient de nom. La Ford Taurus était aussi la Mercury Sable. Avec les voitures génériques, ce n'est plus le cerveau reptilien qui marche, mais le cortex. Et là il fallait une notion de qualité que les voitures américaines n'avaient pas, contrairement aux japonaises.»