Pour qu'un véhicule porte leur griffe, ils doivent s'exiler. Leur travail aboutit dans les salons automobiles à l'issue d'un processus complexe de deux ou trois ans. Ils sont designers pour quelques-uns des plus grands constructeurs au monde et ils ont la particularité d'être... québécois.

Il y a ceux qui rêvent de l'objet en tant que tel et il y a ceux qui rêvent de le dessiner. Entre ce rêve et la réalité, il y a un pas que certains franchissent. Et curieusement, de plus en plus.

 

«L'intérêt de nos étudiants pour le design automobile ne se dément pas. Cela se renforce à mon avis. Certains de nos étudiants ont réussi à se tailler une place à l'international.» Le directeur de l'École de design industriel de l'Université de Montréal, Luc Courchesne, estime que la conception design de véhicules fait son chemin sur les bancs des universités québécoises.

Directeur du programme de DESS Design d'équipements de transport, à l'École de design de l'UQAM, Steve Vezeau est moins catégorique: «Environ 15% de nos étudiants s'intéressent à l'automobile. Et il n'y a pas de débouchés dans ce domaine.» Les véhicules alternatifs et écologiques seraient en fait plus en vogue.

Pourtant, depuis une dizaine d'années, «il y a une belle gang», fait remarquer l'un de ses enseignants, Pascal Boissé. Cette gang, ce sont les Lamarre, Gilles, Morasse, Garand et Habib. Auxquels on pourrait ajouter les noms de Louis-Philippe Pratte, Stéphane Lepage et Paul Deutschman.

Pratiquement tous ont à leur actif un véhicule du marché: à Lamarre la Volvo C30, à Habib la BMW Série 7, à Gilles la Chrysler 300C, à Garand l'Audi A8, ou encore à Deutschman la Callaway Corvette.

Tous gravitent ou ont gravité dans les hautes sphères du design automobile. Comment? «Par hasard», répondent Simon Lamarre et Stéphane Lepage. «J'ai pris mon sac à dos et mon CV et je suis parti en Europe», dit Louis Morasse. Karim Habib et Louis-Philippe Pratte ont eux été recrutés pendant leurs études en design automobile.

Beaucoup ont des parcours atypiques. Tous ont dû s'exiler pour assouvir leur passion. Tous travaillent ou ont travaillé en Europe ou aux États-Unis. Mais pas un ne peut expliquer concrètement pourquoi ils semblent de plus en plus nombreux à représenter le Québec dans ce domaine.

«Le Québécois est ingénieux, curieux et très créatif. Il voit le côté européen et nord-américain. On a une bonne compréhension des deux marchés, ce qui est un avantage», ose avancer Simon Lamarre, designer chez Volvo depuis 13 ans.

«Le fait d'être à cheval sur deux cultures au Québec, c'est une force. On comprend les deux points de vue, on peut s'en amuser dans le travail de tous les jours. Mais cela m'interpelle qu'il y ait pas mal de gars qui viennent de Montréal. C'est peut-être dû au hasard. À la persévérance aussi», dit Louis Morasse, directeur du design pour la gamme des véhicules utilitaires de Renault.

«On a un pied en Europe et un pied en Amérique du Nord. Cela donne peut-être une flexibilité ou une ouverture d'esprit. C'est un point très fort d'avoir cette compréhension des cultures», pense pour sa part Paul Deutschman, concepteur, designer et consultant automobile à Montréal.

Dans cette industrie, toutes les nationalités sont représentées. Il n'est donc pas étonnant d'y retrouver des Québécois. L'influence d'un ou de plusieurs étrangers dans un département de design ne peut que se faire sentir. Les constructeurs embauchent tout simplement les meilleurs au monde.

«L'étranger a une plus grande facilité à comprendre les cultures, à avoir le recul nécessaire. Et le Québécois est bien placé», commente Pascal Boissé.

Mais pour y parvenir, le chemin est long et tortueux. Et ce, de plus en plus. Il y a énormément de prétendants et très peu d'élus. «Aptitudes pour le design», «passion féroce pour l'auto», «motivation» sont pour cela les maîtres mots.

«Le plus difficile, c'est de rentrer dans le monde automobile. Le plus risqué, c'est de le quitter et d'y revenir, appuie Louis Morasse. En France, même avec un parcours hors norme, on peut arriver à entrer dans l'automobile. Ce qui est moins le cas aux États-Unis. En Europe, les parcours sont plus variés. Les firmes peuvent recruter dans des écoles moins spécialisées, des gens au parcours différent.»

«Je suis le seul au pays qui gagne totalement sa vie dans le design automobile. C'est la preuve que c'est dur à pénétrer. Je suis une référence par défaut», dit Paul Deutschman, à qui l'on doit la Callaway Corvette et la Porsche Spexter.

Quand il s'agit de définir le design automobile, les qualificatifs fusent. Pour les personnes concernées, c'est la discipline du design industriel la plus exigeante. Un défi ultime pour un designer, avec des budgets pratiquement illimités. De son expérience de sept mois chez Mazda Europe, Louis-Philippe Pratte se souvient d'un milieu «passionnant, fascinant et extrêmement compétitif». «Comme designer, on n'a accès qu'à l'esthétique. On travaille dans le secret. Ta créativité a un impact et des moyens énormes.»

Pour reprendre ses mots, le design automobile est même «le Hollywood du design», avec parfois dans les rôles principaux, quelques-uns des meilleurs acteurs québécois.