Comme les autres constructeurs britanniques, Bentley, artisan attachant mais vulnérable, est tombé dans l'escarcelle d'un groupe automobile étranger. La marque a perdu en singularité en passant chez Volkswagen, mais elle a gagné en compétitivité et en pérennité. Les puristes s'en offusquent, mais pas les clients. Au Québec seulement, ils seront 40d'ici la fin de l'année à prendre possession d'une Continental GT, dont le prix d'entrée équivaut à 18 Kia Rio.

Comme les autres constructeurs britanniques, Bentley, artisan attachant mais vulnérable, est tombé dans l'escarcelle d'un groupe automobile étranger. La marque a perdu en singularité en passant chez Volkswagen, mais elle a gagné en compétitivité et en pérennité. Les puristes s'en offusquent, mais pas les clients. Au Québec seulement, ils seront 40d'ici la fin de l'année à prendre possession d'une Continental GT, dont le prix d'entrée équivaut à 18 Kia Rio.

« Une Rolls sans chauffeur. » Voilà l'image que les jeunes générations se font d'une Bentley. Pourtant, Bentley avait accumulé avant de tomber aux mains de Rolls-Royce en 1931 un palmarès sportif étonnant  : cinq victoires aux 24 heures du Mans. Des statistiques qui, hélas, ont été trop peu exploitées avant 1998, année où Volkswagen a fait l'acquisition de la marque anglaise.

Première Bentley entièrement construite par Volkswagen, la Continental GT n'a cette fois aucun équivalent chez Rolls-Royce, aujourd'hui propriété de BMW.Elle doit en grande partie son existence à l'unification des composants de grande série. À tout hasard, si l'occasion vous était donnée de démonter cette Bentley, vous y découvririez des composants et des logiciels identiques à ceux de la Phaeton... Si ses changements ne sont guère visibles au premier coup d'oeil, « cette invasion extérieure » a, dans l'esprit chatouilleux des puristes, entamé la poésie et l'humanité des Bentley d'hier. Mais, sans cette logique industrielle (également appliquée en son temps par Rolls-Royce, ne l'oublions pas), les Bentley croupiraient dans les musées depuis maintenant trois quarts de siècle.

Puisque l'important, c'est ce que le client voit, la direction de Volkswagen a veillé à ce que la présentation intérieure de cette Bentley respecte la tradition. Qu'elle soit une fête des sens, où le parfum du cuir, la douceur dela ronce de noyer et l'éclat du nickel soient une inépuisable source de ravissement. Que du fauteuil dans lequel vous prendrez place, vous puissiez détailler ce salon anglais à la recherche de l'empreinte laissée par la main de l'homme. À une époque où les constructeurs ne cessent de se vanter de réconcilier ameublement et intérieur automobile, chez Bentley, le divorce n'a jamais eu lieu même si la cadence de production a réduit la place de l'artisanat qui faisait la fierté de l'usine de Crewe. Même si, pour ganter le volant d'une Continental GT, l'artisan met aujourd'hui 11 heures de moins qu'à l'époque où il habillait celui de la Continental T... Qu'à cela ne tienne, Bentley travaille toujours sur commande. Il est possible de tout choisir, du sol au plafond  : essences de bois ou d'aluminium, couleurs du cuir, des tapis, de la moquette du coffre... Même liberté pour la carrosserie. Avez-vous encore de la monnaie dans vos poches  ?

Monumentale

On imagine une Bentley plus à son aise sur le gravier fin menant à un château que dans la file de gauche de l'autoroute. Les anciennes peut-être, mais pas celle-ci.

Les puristes encore eux ne daigneront pas soulever le capot, trop court pour abriter le légendaire V8 « six trois quarts » sans lequel une Bentley ne peut être une Bentley. On retrouve plutôt dans cette antichambre si rarement visitée le même W12 deux moteurs Volkswagen VR6 accolés chargé d'animer les plus cossues des A8 et Phaeton. Pour éviter toute comparaison et, surtout, faire taire la critique, la direction de Bentley veille à rappeler que le W12 destiné à la Continental GT se gave, lui, de deux turbocompresseurs et que son assemblage, en Angleterre, est réalisé avec des pièces spécifiques et des attache-moteur en kevlar. Même s'il n'est pas de sang bleu, ce moteur impressionne à plusieurs égards. D'abord par son couple de 479 livres-pied à 1600 tours/minute et aussi par sa compacité coincé comme il l'est sous le capot, on jurerait que non , qui a permis de le positionner au plus près de l'essieu avant et favoriser la répartition des masses (58 % à l'avant, 42 % à l'arrière).

Cette sportive en queue-de-pie quitte prestement la ville où elle n'est visiblement pas à son aise. Sur la voie rapide, rongé par la curiosité, vous ne manquez pas d'écraser la pédale de droite pour voir ce qu'elle a dans le ventre. Le grondement monocorde du moteur se mue alors en un crachement de chat hérissé, que dis-je  ! de 100 chats hérissés ! Les deux turbocompresseurs se mettent à alimenter les 12 pistons, lesquels chassent tellement de gaz que les pots d'échappement s'en étranglent presque. La Continental GT se transforme alors en missile et atteint la cible de 100 km/h en quelques secondes. Ayant peu envie de respirer l'air d'une cellule de prison, nous n'irons pas chercher les 318 km/h annoncés par le constructeur. Vous n'êtes pas fâchés, au moins ?..

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Impériale sur voie rapide, cette Bentley surprend également par sa neutralité et son absence de roulis en courbes serrées, incitant à réaccélérer de plus en plus tôt. Malgré sa masse, l'anglaise reste rivée sur sa trajectoire. Elle accuse toutefois son embonpoint si le profil de la chaussée se met à faire des vagues. La suspension pilotée (ressorts pneumatiques/amortisseurs électroniques), dérivée de celle des Audi A8 et Volkswagen Phaeton, peine alors à tenir la GT en détente, carrosserie et conducteur subissant un tangage plus désagréable que malsain. Basculer l'amortissement en mode sport (molette en console centrale ou levier de vitesse enclenché sur S) n'y change pas grand chose, si ce n'est de dégrader le confort jusqu'alors ferme mais satisfaisant. En revanche, malgré des disques surdimensionnés, cette lourde GT ne réécrit pas les lois de la physique : ses freins, bien qu'efficaces, manquent de mordant et se mettent ensuite à gronder sous l'effort.

Ayant bénéficié d'un temps clément durant ces trois jours d'essai, nous ne pouvons discuter du rendement de son rouage intégral. Mais nous pouvons vous parler de l'émotion mesquine, nous vous l'accordons ressentie à la station-service, après avoir rempli le réservoir de 90 litres de super et constaté que notre consommation avait largement dépassé les 20 litres aux 100 kilomètres. Voilà une tradition respectée.