Bugatti n'est plus qu'un souvenir, Delage et Delahaye se morfondent, et les grands carrossiers français qui habillèrent tant de belles voitures des années 30 sont relégués aux oubliettes. Par manque de moyens et à cause d'un régime fiscal draconien, l'automobile française de luxe est morte.

Bugatti n'est plus qu'un souvenir, Delage et Delahaye se morfondent, et les grands carrossiers français qui habillèrent tant de belles voitures des années 30 sont relégués aux oubliettes. Par manque de moyens et à cause d'un régime fiscal draconien, l'automobile française de luxe est morte.

Mais en 1954, une lueur d'espoir pointe à l'horizon : la Facel Vega fait son apparition remarquée au Salon de Paris. Fondateur des Forges et Ateliers de Construction d'Eure-et-Loir (FACEL), Jean Daninos est amateur de belles machines. Son entreprise fabrique des carrosseries en sous-traitance pour plusieurs constructeurs, dont Panhard, Simca et Ford, mais Daninos rêve de réaliser une Grand Tourisme française. Et c'est à son frère, Pierre Daninos, l'auteur des célèbres Carnets du Major Thomson, que l'on doit le nom Vega, celui de «la plus brillante étoile de la constellation de la Lyre».

Une française à moteur Hemi

La belle française, inspirée du style du moment, notamment avec son pare-brise enveloppant, est propulsée par un audacieux moteur provenant directement de la DeSoto de Chrysler : le V8 Firedome à culasses hémisphériques (le fameux Hemi) de 4,5 litres, qui produit plus de 200 chevaux et un couple à faire pâlir les petits quatre cylindres français de l'époque. Le coupé 2+2, superbement fini et équipé, est orné de moulures en acier inoxydable au lieu de chrome. Il est monté sur un châssis tubulaire très robuste mais très lourd aussi. Sa consommation est à l'avenant mais peu importe : cette voiture est destinée aux gens fortunés qui souhaitent rouler de Paris à Monte Carlo pour le week-end, question de s'aérer les poumons sur les bords de la Méditerranée.

À cette première Facel Vega, la FV1, succède en 1955 la FV2, équipée d'un autre moteur Chrysler encore plus imposant, le V8 de 5,4 litres et 250 chevaux, qui permet à la belle d'atteindre les 200 km/h. Viennent ensuite la FVS (Sport) avec ses 325 chevaux, et une version décapotable construite seulement à 11 exemplaires.

Aux luxueux coupés s'ajoute en 1958 une limousine quatre portes nommée Excellence, un amalgame de styles européen et américain, qui se distingue par son toit dépourvu de montant central et ses portes arrière de type «suicide».

La préférée des vedettes

En 1959, Facel Vega présente son modèle le plus connu : la HK 500, produit à 490 exemplaires jusqu'en 1961. Avec 6,2 litres et 360 chevaux à sa disposition, l'heureux propriétaire a une machine capable de rivaliser, en ligne droite, avec les Aston Martin et Ferrari de l'époque. À ces performances remarquables et remarquées (notamment par les autorités fiscales), la HK 500 ajoute une grande élégance et un luxe de bon aloi qui plaisent aux vedettes et autres célébrités, comme Danny Kaye, Tony Curtis, François Truffaut, Ringo Starr, Lionel Bart, Joan Fontaine et Ava Gardner (propriétaire de trois Facel Vega). Mais c'est sans doute la mort d'Albert Camus, romancier, philosophe et Prix Nobel de littérature, qui fera les plus grandes manchettes. Camus était à bord d'une Facel Vega conduite par son ami Michel Gallimard (NDLR : et neuveu de son éditeur, Gaston Gallimard). «Quittant subitement la route, la voiture a percuté violemment un arbre qui la bordait». La sécurité de la voiture est alors mise en doute, mais Facel surmonte la crise, sans doute porté par le succès de sa nouvelle venue : la petite Facellia, un coupé sport plus abordable destiné à rivaliser avec les roadsters de luxe anglais, italiens et allemands.

La Facellia, une voiture entièrement française, cache sous son capot un beau quatre cylindres de 1,6 litre à deux arbres à cames en tête, conçu et réalisé par Pont-à-Mousson, l'entreprise qui fabrique déjà les boîtes manuelles équipant les Facel à moteur Chrysler. Mais beauté ne rime par toujours avec fiabilité et les nombreux ratés du quatre cylindres coûtent à Facel une petite fortune en frais de garantie, sans compter une réputation sérieusement entachée. Cette mésaventure vient aggraver la situation du petit constructeur, affecté par une rentabilité inexistante que doivent compenser les autres opérations du groupe Facel une situation semblable à celle d'Aston Martin, en Angleterre, qui perd de l'argent sur chaque voiture qu'il construit.

Ces ennuis financiers et administratifs commencent à faire ternir l'étoile jusque-là brillante de Facel et, malgré les tentatives de récupération et l'adoption de moteurs Volvo et Austin Healey sur la Facel III (1963) et la Facel 6 (1964), Facel doit plier bagages en 1964.

C'est ainsi que se termine l'histoire de Facel, le créateur du «coupé quatre places le plus rapide du monde» (la HK 500) et de l'Excellence, «qui pourrait parfaitement être la voiture officielle de nos ambassades et de nos administrations», comme l'écrivait Jean Daninos, décédé en 2001, à l'âge de 95 ans. Quant à l'automobile de luxe française, nous l'attendons encore.

Photo-affiche : www.caronline.be

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DANS LE RÉTROVISEUR DE LA FACEL VEGA HK 500 1960

Empattement / longueur / largeur / hauteur (cm) : 267 / 460 / 180 / 134

Poids : 1891 kg

Moteur : V8 Chrysler, 6,3 L, 330 ch. à 4600 tr/min, 460 lb-pi à 2800 tr/min

Transmission : manuelle 4 vitesses ou automatique 3 vitesses

Suspension av./arr. : indépendante / essieu rigide

Freins : disques assistés

Performance : 0 à 100 km/h en 9,7 secondes

Vitesse maxi : 225 km/h

Production (1958 à 1961) : 490 unités

Prix (1960) : env. 9800 $

Valeur (2006) : env. 40 000 $

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LA MÊME ANNÉE 1960

» Au Québec, élection de Jean Lesage. Son slogan : «C'est le temps que ça change».

» L'Union soviétique abat l'avion-espion américain U2 pendant qu'il survole la Russie. Le pilote Francis Gary Powers est fait prisonnier.

» Le Sénégal, le Ghana, le Nigeria,Madagascar et le Zaïre (ancien Congo belge) accèdent à l'indépendance.

» Prix Nobel de chimie à l'Américain Willard F. Libby pour son «horloge atomique» qui permet de mesurer l'âge d'un objet en fonction de sa radioactivité.

» Décès du romancier et philosophe français Albert Camus dans un accident de la route. Il roulait à bord d'une Facel Vega...

Pour joindre notre collaborateur : alain.raymond@lapresse.ca