Ralentir les camions permet-il de réduire le nombre de morts sur les routes? Telle est la question que posent de plus en plus d'ingénieurs des transports, devant la popularité accrue des limites de vitesses différentielles.

Ralentir les camions permet-il de réduire le nombre de morts sur les routes? Telle est la question que posent de plus en plus d'ingénieurs des transports, devant la popularité accrue des limites de vitesses différentielles.

Ces limites sont différentes pour les automobiles et les camions. Dans l'État du Michigan, par exemple, les camions sont limités à 55 milles à l'heure (88 km/h) et les voitures à 70 milles à l'heure (112 km/h). Depuis 1987, une quinzaine d'États américains ont imposé ce genre de limites. La SAAQ a indiqué en novembre qu'elle envisageait quant à elle de limiter électroniquement la vitesse de tous les camions à 105 km/h.

Le printemps dernier, un professeur de génie de l'Université de l'Arkansas, Steven Johnson, a tranché : les limites différentielles sont dangereuses. Certes, elles diminuent la vitesse des camions, et donc améliorent leur maniement en cas de freinage d'urgence. Mais elle augmentent la «variance» de la vitesse sur la route, l'écart entre les vitesses des différents véhicules. Or, plus la variance est grande, plus il y a de situations conflictuelles.

«Avec les limites différentielles, les automobiles doivent plus souvent dépasser les camions, ou freiner derrière un camion qui est en train d'en dépasser un autre, explique M. Johnson. Chaque interaction augmente les risques d'accident. Cette augmentation est plus importante que la diminution des risques d'accidents grâce au meilleur maniement des camions.»

L'ingénieur de l'Arkansas note que ses résultats ne valent que pour les autoroutes rurales. À la demande du ministère des Transports des États-Unis, il s'attaque maintenant aux autoroutes urbaines.

«Il y a beaucoup de groupes de pression dans ce dossier, déplore M. Johnson. Mais il y a peu d'études scientifiques. Par exemple, on dit souvent que la vitesse fatigue davantage les camionneurs. Mais il n'y a aucune étude pour appuyer cela, du moins dans la zones usuelles allant de 100 à 120 km/h. Quand on demande aux groupes de pression s'il vaut mieux qu'un camionneur conduise 10 heures à 112 km/h ou 11 heures à 100 km/h, ils préfèrent ne pas répondre. Au contraire, on peut penser qu'aller à la même vitesse que le reste du trafic est moins fatigant, parce qu'il y a moins d'interactions. Les groupes de pression restent tout aussi muets quand on leur demande s'il vaut mieux avoir des camions 10 % plus rapides, ou 10 % plus de camions sur les routes.»

Les pressions en faveur d'une limite uniforme pour tous les camions 110 km/h aux États-Unis en ce moment viennent surtout des compagnies de camionnage, selon M. Johnson.

«Environ 90 % des compagnies limitent la vitesse de leurs camions, pour des questions d'assurances, dit-il. Mais seulement 75 % des camionneurs indépendants le font. Alors les compagnies veulent s'assurer que tout le monde est aussi inefficace qu'elles.»

Au Québec, limiter les camions à 105 km/h permettrait aussi de «rétablir une équité économique entre les entreprises», a indiqué le ministère des Transports. À noter, à la différence de la plupart des États américains qui pratiquent les limites différentielles, la vitesse moyenne sur les autoroutes québécoises est beaucoup plus élevée que la limite de vitesse. En fait, elle est probablement proche de la vitesse moyenne dans les États qui ont une limite de 112 km/h ou 120 km/h.

Les limites différentielles créent aussi des problèmes de congestion ponctuelle. «Quand tous les camions vont à la même vitesse, des agrégations tendent à se former, cinq ou six camions à la queue leu leu, dit M. Johnson. Si un camion qui va à 105 km/h décide de dépasser un camion qui roule à 103 km/h, vous imaginez que ça va bloquer la voie de gauche pendant une éternité.»

Reste la question de la pollution. Le ministère québécois des Transports estime que la limitation à 105 km/h éliminera 330 000 tonnes métriques de gaz à effet de serre chaque année, grâce à une économie de 10 500 litres d'essence par véhicule, entre le sixième et le quart de la consommation.

Les économies d'essence pourraient être plus réduites que prévu, prévient l'ingénieur de l'Arkansas. «Comme les camions sont pratiquement confinés dans la voie de droite, ils doivent sans cesse ralentir pour laisser entrer le trafic, puis accélérer de nouveau. Les freinages-accélérations augmentent de plus l'usure de la chaussée. D'ailleurs, tous les laboratoires de structure vous le diront : plus un camion va vite, moins il endommage la chaussée, parce qu'il passe moins de temps sur chaque portion d'autoroute.»

De plus, selon M. Johnson, la perception du public que les camions vont trop vite provient de ce qu'ils sont moins affectés par le mauvais temps. «Quand il pleut fort, les automobilistes ralentissent. Mais les camionneurs n'ont pas autant de problèmes de visibilité, parce que leurs véhicules sont trop hauts pour qu'ils soient affectés par les éclaboussures de la route. Alors ils vont plus vite que les automobilistes. Être dépassé par un camion quand on ne voit pas grand-chose peut effectivement être traumatisant. Mais ce sont des situations qui ne surviennent pas tous les jours.»

Pour joindre notre journaliste : mathieu.perreault@lapresse.ca