De méchantes langues l'ont surnommée Chevrolet «Dégât», et le magazine Forbes en a fait l'une des pires voitures de tous les temps. Malheureuse Vega qui devait, selon ses concepteurs, colmater la brèche ouverte par l'increvable Volkswagen et l'invasion japonaise naissante.

De méchantes langues l'ont surnommée Chevrolet «Dégât», et le magazine Forbes en a fait l'une des pires voitures de tous les temps. Malheureuse Vega qui devait, selon ses concepteurs, colmater la brèche ouverte par l'increvable Volkswagen et l'invasion japonaise naissante.

Nous sommes en 1971. Toyota, Datsun (aujourd'hui Nissan) et Honda proposent de petites voitures économiques, abordables et surtout fiables. Bien plus modernes que l'antique Volkswagen (née en 1946), les produits japonais commencent à agacer Detroit, qui décide de répliquer pour une deuxième fois. Rappelons que la première offensive «anti-importées», qui avait eu lieu une douzaine d'années plus tôt et qui visait plus particulièrement Volkswagen, s'était soldée par un succès mitigé (Chevrolet Corvair, Ford Falcon, Plymouth Valiant, AMC Gremlin).

La réponse de GM aux modèles importés a été la Chevrolet Vega, un coupé deux portes aux lignes agréables, livrable en versions trois portes avec hayon et familiale, et bien mieux réussie esthétiquement que la désolante Ford Pinto ou l'abominable AMC Gremlin. Mais contrairement à Ford, qui a doté la Pinto d'un robuste quatre cylindres provenant de sa filiale britannique (moteur qui propulse encore aujourd'hui les monoplaces Formule Ford), Chevrolet a décidé de frapper un grand coup en concevant un tout nouveau moteur en aluminium. Enfin, pas tout à fait en aluminium: la culasse, elle, était en fonte. Et plutôt que de faire appel à la technique bien éprouvée des chemises de cylindres en fonte, GM a adopté celle des cylindres en aluminium imprégné de silicone, question de les rendre résistants à l'usure. En principe, du moins...

Un tracteur des années 20

Voici ce qu'en a écrit dans un livre John DeLorean, alors directeur général de la division Chevrolet: «Ce moteur relativement volumineux, bruyant et pesant dans le haut, à cause de sa culasse en fonte, coûtait bien trop cher à construire. On aurait dit un moteur provenant d'un tracteur des années 20... Les ingénieurs de Chevrolet en avaient honte. Après huit milles sur la piste d'essai, l'avant de la Vega s'est détaché. Sans doute un record dans les annales pour un modèle à l'essai...»

Précisons que ce désastre ambulant avait été conçu par les ingénieurs de GM et non ceux de Chevrolet, et que la direction de la corporation, sans doute aveuglée par son gigantisme - un mal qui perdure - avait choisi d'imposer la voiture à la division.

Persévérance

Malgré ces débuts peu prometteurs, Chevrolet persévère. Deux ans après la date de lancement promise, la Vega fait son apparition. Et puisque c'est une Chevrolet, synonyme d'infaillibilité, la Vega se vend. Du moins relativement, car Chevrolet en écoule 395 000 unités la première année (légèrement en-deçà de l'objectif de 400 000).

Aux défauts de conception (qui se manifestent notamment par l'usure ultrarapide du moteur), s'ajoutent des problèmes de qualité d'assemblage à l'usine ultramoderne de Lordstown, en Ohio. Question de se tirer dans le pied, le syndicat lance une grève de 10 semaines, tuant dans l'oeuf l'élan de la pauvre Vega. Pensant résoudre les problèmes, GM retire la direction de l'usine à Chevrolet et la confie à une autre division centrale, qui commence par licencier 700 travailleurs. C'est ainsi que naît l'expression «syndrome de Lordstown», qui désigne l'atmosphère empoisonnée des relations de travail à l'époque.

Résultat: une qualité d'assemblage atroce qui se traduit, entre autres, par un premier rappel de 132 000 voitures afin de corriger un risque d'incendie du carburateur. Sans compter que les premières Vega montrent déjà des traces de rouille.

Et pourtant, elle n'était pas moche, la petite Chevrolet, et sa tenue de route était nettement supérieure à celles de la Pinto et de l'horrible Gremlin. Mais face à ses vraies concurrentes (Datsun 510 et Toyota Corolla), elle ne faisait pas le poids. Façon de parler, évidemment, puisque c'est justement son poids excessif qui nuisait à ses performances.

Cosworth à la rescousse

En désespoir de cause, GM décide de faire parler les chevaux et confie à la société britannique Cosworth Engineering, créatrice des célèbres V8 Ford de Formule 1, le mandat de concevoir un moteur plus musclé. La Cosworth Vega, qui fait son entrée en 1975, est animée par une version 2 litres du moteur original, coiffé d'une belle culasse à deux arbres à cames en tête et 16 soupapes, le tout alimenté par un système d'injection électronique Bendix. Donc, tout ce qu'il y a de plus moderne. Malheureusement et sans doute à cause des normes antipollution naissantes, le Cosworth, si beau soit-il sur papier, ne produit que 110 chevaux, seulement 20 de plus que le moteur d'origine et bien moins que les 150 promis. Peinte exclusivement en noir, la Cosworth est vendue plus de 6000 $, une somme injustifiable malgré ses belles roues en alliage d'aluminium chaussées de gros pneus radiaux, son instrumentation complète, sa suspension sport, sa boîte manuelle à rapports rapprochés, sa direction plus directe, etc. À ce prix-là, on se serait attendu à ce que la Vega vitaminée puisse tenir tête à la BMW 2002, vedette des compactes sport de l'époque.

La Vega Cosworth, produite jusqu'en 1977 à 3508 unités, marque la fin de l'aventure Vega.

Ils ne furent pas nombreux à la pleurer, la pauvre petite Chevrolet. Et dans le match «Detroit contre les Importées», c'était 2 à 0 pour les Importées.

Source: On A Clear Day You Can See General Motors - John Z. De Lorean's Look Inside the Automotive Giant, par John Z. De Lorean, 1979.

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DANS LE RÉTROVISEUR DE LA CHEVROLET VEGA 1975

Empattement / longueur / largeur / hauteur (cm) : 246 / 445 / 166 / 122

Poids : 1144 kg

Moteur : 4 cyl., 2 L, bloc en aluminium, 2 ACT, 16 soupapes, injection électronique, 110 ch. à 5600 tr/min, 107 lb-pi à 4800 tr/min

Transmission : manuelle, 4 vitesses

Suspension av./arr. : double triangulation / essieu rigide et ressorts hélicoïdaux; barres antiroulis

Pneus : BR70-13 x 6

Freins av./arr. : disques / tambours

Performances : 0 à 96 km/h en 12,3 secondes

Vitesse de pointe : 180 km/h

Production (1975) : 2061 unités

Prix (1975) : env. 6000 $

Valeur (2006) : env. 7000 $

LA MÊME ANNÉE (1975)

» Pierre Trudeau impose le contrôle des prix et des salaires pour tenter de contrer l'inflation galopante.

» À 17 jours d'intervalle, le président américain Gerald Ford échappe à deux tentatives d'assassinat.

» Andreï Sakharov , physicien nucléaire russe, milite pour les droits de la personne, les libertés civiles et la réforme de l'Union soviétique. Il obtient le prix Nobel de la paix.

» Au grand écran, Jaws sème la terreur sur les plages tandis que One Flew Over the Cuckoo's Nest balaye tout sur son passage en remportant quatre Oscars.

» Niki Lauda sur Ferrari remporte le premier de ses trois championnats du monde des pilotes de Formule 1.

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