À tout le moins, il est possible de déceler l’automatisme dans un phénomène relativement courant en conduite automobile, l’ « erreur d’attribution ». Il s’agit d’une situation où un automobiliste est persuadé que les personnes qui lui nuisent l’ont fait délibérément. Par exemple, si une personne nous coupe la route, on pense qu’elle nous avait vu et qu’elle a délibérément choisi de nous ignorer. Or, la plupart du temps il s’agit d’une erreur de bonne foi, d’un automobiliste qui n’a tout simplement pas bien regardé derrière lui avant de changer de voie. Cet automatisme nous fait erronément attribuer un inconvénient à de la malveillance.

Mais évidemment, réfléchir aux automatismes, c’est un peu contre nature.

Les automatismes jouent probablement un rôle important dans la rage au volant, selon un psychologue californien, Raymond Novaco, de l’Université de Californie à Irvine. Dans un récent article du magazine de l’Association de science psychologique, M. Novaco a avancé que les automobilistes qui apprennent à conduire dans un environnement stressant vont sans y penser reproduire les comportements agressifs des autres automobilistes.

Cette théorie, appelée « scripts agressifs », est souvent utilisée pour expliquer pourquoi les films violents rendraient les enfants agressifs. Son application à l’automobile est la suivante : les jeunes automobilistes apprennent à « tenir leur bout dans le trafic », à klaxonner les gens qui les coupent ou qui vont trop lentement, puis ils reproduisent ces gestes agressifs sans y penser. Par exemple, en accélérant quand une voiture veut les doubler, ou en empêchant d’autres automobilistes de s’immiscer dans le trafic en avant d’eux.

« Il n’y a pas eu d’études qui étaye ma thèse, et elle est de toute façon difficile à vérifier, reconnaît M. Novaco. Mais on observe souvent, empiriquement, que beaucoup de comportements agressifs au volant ne sont pas vraiment réfléchis. Ce sont des réflexes. »

« En général, on utilise une très faible portion de nos capacités intellectuelles en conduisant », explique David Shanar, psychologue à l’Administration nationale de sécurité autoroutière, à Washington. « C’est pour cela que nous cherchons sans cesse des occasions pour nous divertir, en écoutant la radio ou de la musique, en parlant au téléphone. Une fois l’apprentissage de la conduite bien ancré, beaucoup des gestes des automobilistes se font automatiquement. »

Pour illustrer son propos, M. Shanar rapporte les résultats d’une étude qu’il a menée avec des personnes n’ayant jamais utilisé de cellulaire en conduisant. « Ils devaient revenir cinq jours de suite au simulateur de conduite, où ils devaient maoeuvrer une voiture virtuelle tout en parlant au téléphone. Au fil des jours, le taux d’erreurs de conduite diminuait lentement, particulièrement chez les conducteurs expérimentés. Cela signifie que parler au téléphone entrait lentement parmi les automatismes de la conduite. »

Cela ne signifie pas que le cellulaire au volant est sans conséquence, prévient M. Shanar. « Quand on maîtrise bien la conduite, on a beaucoup d’espace mental pour faire face aux situations imprévues. C’est pour cette raison que les jeunes conducteurs ont davantage d’accidents. Ce n’est pas seulement parce qu’ils sont plus impulsifs et prennent plus de risques. En parlant au téléphone, on restreint l’attention portée aux événements imprévus, comme une voiture qui s’arrête brusquement en avant de nous. »

Accélérer sans y penser pour clore l’écart avec la voiture en avant, quand une troisième voiture veut s’y immiscer. S’apercevoir, alors qu’on conduit sur l’autoroute, qu’on ne se souvient de rien des derniers 30 kilomètres. Se rendre compte, en traversant une intersection en voiture, qu’il y avait un piéton qui attendait dans la rue pour traverser, alors que l’on s’était juré de toujours laisser la priorité aux piétons.

La conduite automobile est remplie d’automatismes. Grâce aux études sur les téléphones cellulaires, les spécialistes commencent à apprécier l’ampleur du phénomène.