Ailleurs, M. Dumais a choisi de modifier la route pour diminuer la vitesse des voitures. «Devant l’aréna, les piétons présentaient un problème. Le stationnement principal était de l’autre côté de la rue. Il y avait deux passages piétonniers, mais personne ne les prenait, et les automobilistes passaient rapidement sans laisser la priorité aux piétons. L’un des passages était même situé tout de suite à la sortie d’une courbe, tout simplement parce qu’il y avait une porte secondaire de l’aréna en face; c’était un miracle que personne n’ait jamais été tué à cet endroit. J’ai demandé la construction d’un passage piétonnier surélevé, qui force les automobilistes à ralentir à moins de 40 ou 50 km/h. Il y a aussi une avancée de trottoir, pour empêcher les voitures de se garer à cet endroit. Maintenant, les piétons passent au bon endroit et les voitures leur cèdent le passage.»

Les limites de vitesse ont aussi été mises aux normes. Le cas de la rue Cowie, près du boulevard qui mène à l’autoroute, est particulièrement intéressant: la vitesse y a été augmentée de 50 à 70 km/h. «C’était un tronçon où il y avait toujours des excès de vitesse. Depuis 30 ans que je suis dans la police, on faisait toujours des opérations de radar une ou deux fois par année. J’ai demandé une étude, qui a montré que la vitesse maximale de 85% des gens était de 69 km/h. Je me suis rendu compte qu’il ne serait jamais possible de faire respecter la vitesse, à moins d’avoir un policier en permanence sur les lieux.»

La vitesse maximale de 85% des automobilistes est une mesure utilisée par les ingénieurs en circulation. Les ingénieurs considèrent que 85% des automobilistes sont généralement respectueux des règlements; or, si la vitesse de 85% des gens est beaucoup plus élevée que la limite, cela veut dire que la route est mal conçue. Soit la limite est trop basse, soit il faut modifier la géométrie de la route pour forcer les automobilistes à aller moins vite, par exemple avec des dos d’ânes ou des chicanes.

Dans le cas de la rue Cowie, M. Dumais s’est rendu compte que la limite était à 50 km/h parce qu’elle faisait partie du territoire de la Ville de Granby. Or, les normes du Ministère suggèrent cette limite à l’intérieur des agglomérations. «Je me suis rendu compte qu’à l’intérieur du territoire de la ville, il y avait plusieurs agglomérations. La rue Cowie, à cet endroit, est une zone industrielle. Ce n’est pas du tout une agglomération résidentielle ou commerciale. Alors on pouvait avoir une limite plus élevée que 50.»

Pour en arriver à une politique cohérente, M. Dumais a lu beaucoup d’études sur le comportement des automobilistes. Il a également passé au peigne fin les normes du ministère des Transports du Québec. Pour se protéger des pressions politiques, il a fait adopter une loi stipulant que l’installation de la signalisation routière doit respecter les normes du Ministère.

«Maintenant, quand un politicien se fait demander un panneau d’arrêt par un citoyen, il peut dire: ‘‘Le service technique va étudier ça, nous avons des normes à respecter.’’ Avant, la tentation était forte de dire oui, parce que c’était le politicien qui avait le dernier mot. Là, c’est le règlement qui dit non.»

Dans les nouveaux projets de construction domiciliaire, la géométrie des rues est faite selon les normes, de manière à limiter la signalisation nécessaire. «L’idéal, c’est de ne jamais avoir besoin de signalisation, que l’automobiliste roule instinctivement à la bonne vitesse, dit M. Dumais. Mais bon, on n’est pas dans un monde idéal. Alors on essaie de privilégier les ‘‘cédez le passage’’, de limiter les endroits où il faudra des panneaux d’arrêt.»

L’analyse de M. Dumais est l’illustration parfaite d’une théorie proposée, ces dernières années, par des psychologues qui étudient la conduite automobile. En multipliant les panneaux de circulation pour corriger les défauts de conception des rues, on a diminué le respect des règlements par les automobilistes. Par contagion, ils commencent à ne plus respecter les autres panneaux ou les feux rouges.

Tout a commencé en 1993. «Un nouveau conseil municipal a demandé à la direction des services techniques d’enlever des panneaux d’arrêt, dit M. Dumais. Nous étions reconnus comme la capitale de l’intersection à quatre stops. Nous avons étudié une quarantaine de carrefours et nous avons enlevé des arrêts à une trentaine d’entre eux. Il y a eu des résistances au sein de la population, mais finalement, tout le monde s’est rendu compte que ça n’a pas fait augmenter la vitesse des voitures. Prenez seulement le cas des cyclistes: quand il y a quatre panneaux d’arrêt, ils ne ralentissent même pas et ça peut les mettre en danger. Nous avons étudié le nombre d’accidents avant et après à ces intersections, et il a diminué. Ensuite, nous avons commencé à remplacer certains panneaux d’arrêt par des ‘‘cédez le passage’’.»

Maintenant, Granby se veut «la capitale du bonheur». À la blague, M. Dumais dit que c’est probablement parce qu’il y a moins de panneaux d’arrêt.

Depuis une demi-douzaine d’années, Granby a remplacé une soixantaine de panneaux d’arrêt par des «cédez le passage». De plus, une soixantaine de stops ont été enlevés à des intersections où il y en avait aux quatre coins.

Cette politique vise à diminuer la frustration chez les automobilistes. Paradoxalement, l’objectif est qu’ils respectent mieux la signalisation routière.

«Souvent, des panneaux d’arrêt sont installés là où il ne sont pas nécessaires, explique le directeur adjoint de la sécurité publique de Granby, Jean-Robert Dumais. Les automobilistes s’en rendent bien compte. Alors ils commencent à penser qu’un panneau d’arrêt, c’est toujours inutile. Or, il y a des endroits où il est essentiel de s’arrêter complètement.»