Le conseil d’administration de la SAAQ doit prendre une décision finale sur ce dossier à la mi-août.

R. En effet, sur la somme totale que la SAAQ doit aller chercher chez les usagers de la route, les fonds pouvant potentiellement provenir des motocyclistes ne représentent qu’une fraction. Pourquoi pensez-vous que la SAAQ, grâce à la loi 55, s’est donné le droit de catégoriser les types de véhicules? Il est clair que la SAAQ se sert de la moto pour roder ce nouveau genre de tarification et que les automobilistes sont les prochains sur la liste. C’est d’eux que proviendra la majorité des sommes dont la SAAQ a besoin pour renflouer ses coffres, pas des motocyclistes.

Q. Quelle est la meilleure solution au déficit de la SAAQ?

R. La SAAQ a véritablement aujourd’hui un problème d’argent et elle doit le régler. Mais ce problème, elle devra le régler équitablement. Tout ce que nous demandons, au fond, c’est que les motocyclistes ne soient pas traités différemment des autres usagers de la route. Si la SAAQ envisage la catégorisation et qu’elle nous dit que les motos sport coûtent plus cher, alors qu’on nous dise aussi combien coûtent les voitures sport. Je crois qu’un règlement équitable devrait être une combinaison de plusieurs solutions. Par exemple, on sait que les jeunes représentent un risque élevé et qu’ils coûtent cher. Veut-on les punir en les faisant payer plus, ou veut-on les encadrer davantage et les dissuader d’une conduite téméraire par divers moyens? Un nombre limité de points d’inaptitude, du moins au début, pourrait être une solution. Dans un autre ordre d’idées, j’ai bon espoir que la technologie vienne améliorer les bilans routier grâce à des systèmes ABS, d’antipatinage, et de cousins gonflables, qui commencent à apparaître sur les motos.

Q. Donc, si la SAAQ augmente de façon marquée les droits d’immatriculation de motos sportives, vous croyez que cela n’améliorera en rien le bilan routier?

R. En fait, il est fort probable que la classe soit désertée au profit d’une autre, puisque c’est généralement ce qui arrive dans ces cas. Autrement dit, si le jeune n’a plus les moyens de s’acheter une sportive, il se dirigera tout simplement vers une moto catégorisée non sportive. Mais son comportement, lui, ne changera aucunement. Pire, des cas semblables ailleurs dans le monde nous démontrent que dans une telle situation, ces motos classées non sportives sont alors souvent modifiées afin de livrer les performances d’une sportive. Or, ces motos modifiées sont le seul type de deux-roues surreprésenté dans les accidents. L’une des conclusions du rapport MAIDS est que si la cylindrée et le type de moto ne peuvent être liés au risque d’accident, par contre, dès qu’une moto est modifiée, le risque grimpe. En allant de l’avant avec son projet de catégorisation, non seulement la SAAQ n’améliorera en rien le bilan routier, mais elle risque de l’empirer en créant la seule catégorie de moto existante qui est surreprésentée dans les accidents.

Q. Pourtant, la SAAQ prétend que les sportives ne représentent qu’environ 10 % du parc de motos, un chiffre qui diminuera vraisemblablement si le projet de catégorisation est adopté. La SAAQ aura encore un manque à gagner très important, non?

R. Il est vrai que dans l’éventualité d’un accident, la vitesse devient un facteur aggravant, mais la vitesse n’est pas un facteur causal. Deux études très sérieuses portant exclusivement sur les accidents de motos, le rapport Hurt, publié au début des années 80, et le rapport MAIDS, qui est récent, arrivent essentiellement aux mêmes conclusions. Type de motos, cylindrée, couleur, vitesse de pointe, etc. n’ont aucune incidence sur le risque d’accident. Mais l’âge du pilote, oui. En ce qui concerne la vitesse, sachez que dans 70 % des accidents répertoriés dans le rapport MAIDS, la vitesse médiane avant l’incident était de 50 km/h. Quant aux risques de la haute vitesse, vous serez probablement étonnés d’apprendre que seulement 1,5% des accidentés avaient dépassé les 120 km/h et moins de 0,5% avaient dépassé les 140 km/h. La vitesse ne tue pas. Il est d’ailleurs particulièrement frustrant pour moi d’observer la SAAQ manifester une telle obsession de la vitesse. Pendant qu’on passe tout ce temps à dire aux gens que la vitesse tue, on ne les éduque pas sur les véritables causes des accidents. C’est surtout désolant dans le cas des baby-boomers, qui comptent pour une très grande partie des motocyclistes, et donc aussi des accidents. Car contrairement aux jeunes, il s’agit d’un auditoire captif qui ne demande qu’à écouter un bon conseil. Ils ne roulent pas à moto pour s’éclater, mais simplement pour respirer le bonheur et les fleurs. Il faut trouver le moyen de les éduquer davantage sur leur pilotage. Là, on sauverait des vies et de l’argent à la SAAQ. Voilà une autre facette de tout ce processus qui est frustrante: tout ce dont la SAAQ parle, c’est de chiffres, et jamais de sécurité. Pourtant, quand on améliore la sécurité, on améliore les chiffres.

Q. Pourquoi la SAAQ continue-t-elle de nous dire que la vitesse tue, et pourquoi viser les motos sportives plutôt que l’âge des conducteurs?

R. Mais parce que c’est facile de dire que la vitesse tue, ça explique tout. Et cette croyance est d’autant plus forte que c’est souvent la conclusion des policiers après un accident. Prenez l’exemple de cinq motocyclistes qui se baladent en file indienne et qui arrivent dans une courbe. Leur vitesse est appropriée; les trois premiers passent sans problème, le quatrième chute pour une raison obscure et se tue, et le cinquième passe, lui aussi, sans problème. Dans le rapport de police, on lira fort probablement que l’alcool ou la vitesse est en cause. Si l’autopsie révèle que l’alcool n’est pas en jeu, alors la vitesse sera immédiatement retenue comme cause de l’accident. Multipliez ce cas et vous obtenez des colonnes entières de données vous disant que la vitesse était le facteur causal. Or, et tous les experts en accidentologie s’accordent pour le dire, une telle conclusion ne peut être tirée par le travail d’un policier. Seule une reconstitution en bonne et due forme de la scène d’un accident, par des experts, peut déterminer les causes d’un accident, ce qui n’est que très rarement fait.

Q. Selon la SAAQ, une sportive représenterait un risque jusqu’à huit fois plus élevé qu’une moto non sportive. Que pensez-vous de cette affirmation?

R. C’est absolument, totalement et purement faux. Affirmer une telle chose est ni plus ni moins que de la malhonnêteté intellectuelle, du même genre qu’une phrase comme «La vitesse tue», ce qui est fondamentalement faux. Il est tout à fait possible que la SAAQ ait remis des indemnisations plus élevées à des accidentés qui avaient piloté des motos sportives; cela n’a rien à voir avec le fait qu’il s’agit de motos de classe sportive, mais tout à voir avec le fait qu’elles sont en majorité pilotées par des motocyclistes jeunes. Les études en accidentologie sont d’ailleurs unanimes: le type de moto ou la cylindrée ne sont aucunement liés au nombre ou à la gravité des accidents. Par contre, ces mêmes études démontrent clairement que l’âge est le principal facteur d’accidents. Autrement dit, les jeunes conducteurs sont plus à risque, point final. Mettez-leur une sportive de 600 cc entre les mains, une voiture ou un frigo sur roues, et le risque sera le même: élevé.

Q. Donc, la vitesse ne tue pas?

Depuis que la SAAQ a annoncé l’hiver dernier son intention d’augmenter les droits d’immatriculation de façon importante, le monde de la moto vit une véritable crise au Québec. D’un côté, la société d’État prétend que les motocyclistes lui coûtent trop cher. De l’autre, les amateurs de moto se disent une fois de plus persécutés à tort. Plus que toute autre catégorie, ce sont les motos «sportives» que la SAAQ a dans sa ligne de mire. Les augmentations seraient de 100 % pour l’ensemble du parc motocycliste, et jusqu’à plus de 300 % pour les motos dites sportives. Pourquoi viser de façon aussi pointue une catégorie d’usagers de la route? Comme c’est souvent le cas, les débats deviennent vite très émotifs. Le monde de la moto n’y fait pas exception.

La Presse a rencontré Jean-Pierre Belmonte, expert depuis longtemps du domaine de la moto et participant aux négociations en cours.

Q. Pourquoi la SAAQ cible-t-elle les motos?

R. La SAAQ tente présentement de renflouer ses coffres qui, tout le monde le sait, ont été «soulagés» d’environ 2,2 milliards vers le milieu des années 90. Or, il semble que les contributions des motocyclistes soient inférieures à ce qu’ils coûtent à la SAAQ. Cette dernière tente donc de recréer un équilibre entre ce que les motocyclistes rapportent et ce qu’ils coûtent en indemnisations. Si elle s’acharne de cette façon sur ce qu’elle appelle des motos sport, c’est qu’il semble que les réclamations liées à ces dernières soient plus élevées.