En tweetant son désespoir après n'avoir pas été choisie pour la grand-messe des clips musicaux aux États-Unis, la rappeuse Nicki Minaj a jeté un pavé dans la mare de l'industrie musicale, laissant entendre que celle-ci restait partiale envers les femmes noires.

C'est surtout l'altercation qui a suivi avec la grande favorite de ces nominations aux MTV Video Music Awards, la blanche et filiforme Taylor Swift, qui a ravivé le débat sur les stéréotypes raciaux dans les clips musicaux.

«Si votre vidéo célèbre les femmes avec des corps très minces, alors elle sera choisie» dans la catégorie du meilleur clip de l'année, avait estimé Nicki Minaj, déçue que son titre Anaconda, visionné près d'un demi-milliard de fois sur YouTube ne soit pas sélectionné.

Se sentant visée, Taylor Swift avait lancé une pique à sa rivale, avant que les deux jeunes femmes ne se réconcilient à coups de gros coeurs rouges sur les réseaux sociaux.

Mais la controverse était lancée sur l'injustice faite à Anaconda, une vidéo de 5 minutes délibérément consacrée à l'arrière-train de la chanteuse, qui y interprète avec un groupe de danseuses plusieurs chorégraphies de twerk, une danse aux déhanchés très explicites.

La vidéo filmée dans un décor de jungle avec fausse cascade et corps dénudés n'est pas la première à faire l'apologie de la femme callipyge.

En 1992 dans Baby Got Back, le rappeur Sir Mix-a-lot slalomait dans un décor de postérieurs géants et de filles en mini-short scandant les paroles catégoriques de sa chanson: «J'aime les grosses fesses, je vais pas vous mentir».

Mais pour Anaconda, la mise en scène est différente. Pas un homme à l'horizon, à l'exception notable du rappeur Drake tout près duquel la chanteuse exécute une longue danse suggestive avant de fermement le repousser.

Nicki Minaj, installée à New York et connue pour sa passion du rose, «joue assurément sur les stéréotypes raciaux, mais elle essaie aussi d'en prendre le contrepied», estime Janell Hobson, qui enseigne l'étude de la condition féminine à la State University of New York, à Albany.

«Elle reprend possession du corps, elle reprend possession de l'arrière-train, pour l'affirmation de soi chez les femmes avec un signe de beauté et de fierté, comme pour dire «Allez, regardez-moi, puisque de toutes façons vous allez regarder»», poursuit-elle.

Débat sur le féminisme

Si la catégorie reine lui a échappé, Nicki Minaj présentera le 30 août sa vidéo dans plusieurs autres, dont celle du meilleur clip de hip-hop. Et plusieurs artistes noires comme Rihanna, Missy Elliot ou Beyoncé ont déjà remporté la prestigieuse récompense.

C'est lors de cette compétition que l'ex-enfant star de Disney, Miley Cyrus, avait fait scandale en 2013 en popularisant le twerk, danse qui s'est développée à la Nouvelle-Orléans dans les années 1990 et à laquelle on attribue des origines ouest-africaines.

La blanche et blonde Miley s'était tirée d'affaire en capitalisant sur son tout nouveau statut de sex-symbol.

«L'avantage qu'ont les femmes blanches, c'est qu'on part du principe qu'elles sont sexuellement pures, et toute déviation est alors vue comme une rupture d'un certain enfermement patriarcal opprimant leur sexualité», explique Cate Young, qui tient un blogue féministe sur la culture pop baptisée BattyMamzelle.

«Les femmes noires, on présume qu'elles ont une sexualité déviante, ce qui nous laisse le choix de confirmer le stéréotype en vivant une sexualité normale, ou de refouler notre sexualité dans le but d'éviter les stéréotypes», poursuit-elle. «Dans les deux cas, nous n'avons rien à y gagner», conclut la blogueuse.

Le débat fait écho à une autre polémique déclenchée mi-juillet par une entrevue de Lou Doillon au journal espagnol El Pais. À la Française qui reproche à Nicki Minaj et Beyoncé de mettre à mal le féminisme en «crânant en string», de nombreux billets ont répondu en l'accusant de racisme et en s'activant à diffuser une publicité pour la haute-couture où l'actrice apparaît dans son plus simple appareil.

Nicky Minaj figure toutefois en bonne position dans l'ouvrage paru en mars et intitulé «Les 30 féministes que personnes n'a vu venir».

«Certes, Nicki Minaj ne se pose pas comme une figure intellectuelle de premier plan (...) Mais au moins, le féminisme de Nicki Minaj nous dit ceci: mon cul m'appartient. Et c'est sans doute une bonne nouvelle», y conclut son auteure, Johanna Luyssen.