Tableau final de l’amour de Larry Tremblay prendra vie jeudi à l’Usine C, dans une mise en scène d’Angela Konrad. La Presse a réuni l’auteur et la directrice artistique pour nous parler du spectacle et de l’œuvre puissante de Francis Bacon.

Il faut avoir vu une toile de Francis Bacon une seule fois dans sa vie pour que le souvenir de ces corps, aplatis, tordus, tuméfiés, presque décomposés sur la toile, reste ancré dans notre mémoire. Peu d’artistes ont su représenter ainsi le cri de la condition humaine. De manière aussi puissante, brutale. Avec une œuvre qui provoque un mélange d’admiration et de répulsion. « En effet, Francis Bacon a réussi à rendre belle l’horreur. On peut appeler ça, peut-être, le sublime », explique Larry Tremblay en entrevue.

La rencontre de l’écrivain avec l’œuvre du peintre date de quelques années. En 2012, il a publié un recueil de poésie, 158 fragments d’un Francis Bacon explosé. Une décennie plus tard, il publiait un roman librement inspiré de la vie du peintre irlandais, avec comme ligne directrice sa relation tourmentée avec George Dyer. « Je suis parti avec quelques faits véridiques, et j’ai imaginé tout le reste », dit l’auteur qui réfute le terme de roman biographique. « Car l’œuvre reste la matière première du roman »… Et de son adaptation au théâtre.

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Larry Tremblay

Tableau final de l’amour sera créée jeudi soir à l’Usine C, sous la direction d’Angela Konrad, avec Benoit McGinnis dans le rôle du peintre, et Samuël Côté dans celui de son amant et modèle. Il s’agit plus d’une « condensation du roman » que d’une véritable adaptation, nuance l’auteur. Il a écrit une suite de 20 courts tableaux pour représenter des sensations et des états mentaux de Bacon. « C’est le point de vue de ce dernier qu’on verra, car le texte est narré (surtout) par le peintre, explique Angela Konrad. Encore habité par la présence du disparu, Bacon se remémore son amant, comme dans une adresse au mort. »

Détruire pour créer

La ligne directrice du roman – et de la pièce –, c’est le rapport destructeur entre Francis et George. Le couple a vécu durant huit ans une relation trouble ; jusqu’au suicide de Dyer, en 1971, dans une chambre d’hôtel à Paris, deux jours avant l’ouverture de la rétrospective de Bacon au Grand Palais. « Le couple a vécu un amour assez toxique. Une dynamique sadomaso qui s’est inversée avec le temps. Au départ, Bacon veut être frappé, battu par son amant. Mais ensuite, c’est lui qui deviendra le sadique et George sa victime », remarque Larry Tremblay.

La tragédie, c’est que Bacon a sous-estimé la fragilité et la dépendance de son amoureux. « C’est la rencontre entre deux grandes solitudes, deux êtres foncièrement séparés. Le peintre a saisi la faille de George et la lui a volée pour la mettre sur la toile », explique la metteure en scène. Elle souligne le paradoxe que ce couple représente dans son rapport entre la création et la destruction dans l’art.

Le théâtre de la cruauté

« La jouissance est très liée à la souffrance chez Bacon, poursuit Tremblay. Jouir et souffrir, ça ne le satisfait pas. Mon Francis fictif tend vers la fusion avec l’autre pour créer une nouvelle sensation. Une pression de la chair qui veut sortir du corps. »

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Angela Konrad

Ce qui me touche aussi, c’est que Bacon est témoin de son temps. Dans sa trentaine, il a connu la Seconde Guerre mondiale, puis la découverte des camps, de l’Holocauste. Cela traverse l’œuvre avec la notion de la boucherie, des carcasses.

Angela Konrad, metteure en scène

« Dans l’histoire de l’art en Europe, il y a un avant et un après 1945. Comme une césure au milieu du XXsiècle », ajoute Konrad

Sa mise en scène sera « parfois brutale », prévient-on. « On ne peut pas évacuer cette cruauté dans l’œuvre », croit Konrad. Elle y voit une « tragédie profane, un théâtre de la cruauté ». « On est très proche d’Antonin Artaud », remarque Tremblay.

« Je ne voulais pas représenter un peintre en train de peindre dans son atelier, avec ses toiles accrochées aux murs. Et il n’y aura aucun pinceau. Surtout pas ! » Ce spectacle très intime présenté devant 100 personnes dans la petite salle de l’Usine C reste son travail le plus radical à ce jour, dit-elle. C’est déjà complet ce printemps. Il faut donc faire vite pour réserver des billets pour septembre prochain.

À l’Usine C du 18 au 21 mai, et dans le cadre du Festival TransAmériques du 1er au 3 juin. Supplémentaires à l’Usine C du 5 au 16 septembre.

Tableau final de l’amour

Tableau final de l’amour

Texte et adaptation : Larry Tremblay
Mise en scène : Angela Konrad
Avec Samuël Côté et Benoit McGinnis

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