On a eu un pincement au cœur à la tombée du rideau, lors de la première de Traces d’étoiles, jeudi dernier. Parce qu’on venait d’assister à une production magnifique, portée par un merveilleux duo d’acteurs. Et aussi, parce qu’on ressentait, tel un souvenir évanescent, le même ravissement qu’on avait eu à la création en français de la pièce de Cindy Lou Johnson… en 1992.

Or, pas besoin d’avoir vu la pièce en 1992 au Quat’Sous pour apprécier l’actuelle production du Rideau Vert, dirigée de main de maître par Pierre Bernard. Sa nouvelle mise en scène de la fable contemporaine, 31 ans plus tard, est à la fois proche de l’ancienne et renouvelée par la patine du temps. Cette brusque rencontre entre deux solitudes risque de résonner aussi dans vos cœurs, jeunes ou moins jeunes.

Durant un blizzard, Rosannah DeLuce débarque en coup de vent, avec sa robe de mariée (!), chez Henry Harry, qui vit en ermite au fin fond de l’Alaska. La femme a conduit environ 5000 kilomètres en voiture, sans s’arrêter, sauf pour mettre de l’essence et se ravitailler en barres tendres. Coincée dans la tempête, un white out, elle se réfugie quelques jours chez cet homme mystérieux.

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

Mylène Mackay est impeccable dans son rôle d’une femme en crise. Et Maxim Gaudette est tout aussi formidable.

Pourquoi a-t-elle renoncé à son mariage ? Que fuit-elle ? Où va-t-elle ? Henry lui pose ces questions, mais il ne reçoit pas de réponses claires. Cette étrangère le ramène plutôt à sa propre fuite. Et à une souffrance qu’il croyait avoir laissée loin derrière lui. Pour mieux renaître de ses cendres. Quand le destin frappe à la porte, il faut savoir ouvrir son cœur.

Le cœur découvert

La beauté de Traces d’étoiles, c’est d’arriver à nous faire croire à cette histoire impossible. La pièce fait penser à l’œuvre de Tennessee Williams, avec des personnages en état de crise, de flottement, de folie. Et qui tentent d’échapper à leur tempête intérieure. Telle Blanche DuBois, Rosannah est toujours en fuite pour ne pas disparaître. Elle s’accroche à la vie, en faisant « confiance dans la gentillesse des étrangers ».

Mylène Mackay est impeccable dans le rôle de Rosannah. Maxim Gaudette est aussi formidable.

Qui plus est, l’acteur a remplacé au pied levé – trois semaines seulement avant la première – le comédien Émile Schneider, qui a dû se retirer du projet pour des raisons de santé. Voilà qui est remarquable d’avoir mémorisé et intériorisé cette partition exigeante en si peu de temps !

PHOTO FRANÇOIS DELAGRAVE, FOURNIE PAR LE RIDEAU VERT

Mylène Mackay et Maxim Gaudette sur la scène du Rideau Vert

Soulignons aussi la traduction de Maryse Warda et le très beau décor incliné de Daniel Castonguay (le même qui a conçu le décor en 1992 au Quat’Sous). Sa scénographie reproduit l’antre chaud de Henry, où seule une petite fenêtre nous laisse voir la tempête au-dehors. Comme une métaphore du tourment intérieur des protagonistes.

En entrevue, Pierre Bernard a confié que sa « carrière de metteur en scène sera bel et bien finie » après cette production du Rideau Vert. Une décision qui nous fait aussi un pincement au cœur.

Consultez le site du Théâtre du Rideau Vert
Traces d’étoiles

Traces d’étoiles

De Cindy Lou Johnson. Mise en scène : Pierre Bernard. Avec Mylène Mackay, Maxim Gaudette.

Au Rideau Vert, jusqu’au 10 juin.

8/10