Jamais présenté au Théâtre du Nouveau Monde, le dramaturge québécois Larry Tremblay y fait son entrée avec une de ses pièces les plus étourdissantes et étonnantes, Abraham Lincoln va au théâtre.

Résumer l’intrigue de ce texte étonnant créé pour la première fois sur scène en 2008 tient du tour de force. Essayons tout de même : deux acteurs de séries policières sont embauchés par un metteur en scène tyrannique, Marc Killman, pour recréer à la manière de Laurel et Hardy l’assassinat du président américain Abraham Lincoln – ce dernier a été abattu dans sa loge par l’acteur John Wilkes Booth dans un théâtre de Washington en 1865.

Seulement voilà : aucun des protagonistes de cette pièce labyrinthique n’est vraiment celui qu’on croit. Lorsque les masques tombent, c’est pour en dévoiler de nouveaux qui tomberont à leur tour.

Comme dans ces palais de glaces où des miroirs déformants renvoient à l’infini l’image de ceux qui osent s’y aventurer, la pièce de Larry Tremblay pousse à un degré extrême le principe de la mise en abyme.

Les couches se superposent sans cesse, forçant le spectateur à laisser tomber ses certitudes et à lâcher prise pour accepter de se laisser guider. Sans résister. Car quiconque chercherait une histoire chronologique et linéaire à laquelle se raccrocher se fera vite engouffrer par cette diablesse de pièce où Larry Tremblay joue au prestidigitateur. De son chapeau, il ne sort pas des lapins ou des colombes, mais une représentation complètement délirante de cette Amérique schizophrénique qui est la nôtre. Où se cache la vérité quand l’imitateur vole la vedette à l’imité ? Qui croire quand la désinformation fait rage et que chacun croit détenir les seules clés valables pour comprendre notre monde en pleine crise d’identité ?

Interprètes brillants

Pour porter ce texte fait d’apartés, de clins d’œil au public et de répliques qui fusent à la vitesse grand V, la metteure en scène Catherine Vidal a fait appel à quatre interprètes en très grande forme. Luc Bourgeois et Mani Soleymanlou (méconnaissable) sont brillants dans les rôles des faux Laurel et Hardy. Leur complicité, cette façon étonnante qu’ils ont de se compléter l’un l’autre, mais surtout leur talent à endosser l’humour physique – et très slapstick – qui émaille la pièce… tout dans leur interprétation tient de la haute voltige.

PHOTO YVES RENAUD, FOURNIE PAR LE TNM

Didier Lucien (à gauche) est aussi de la distribution.

Bruno Marcil et Didier Lucien sont aussi très solides, le premier dans le rôle de l’imbuvable metteur en scène Marc Killman et le second dans le rôle d’un acteur jaloux qui deviendra un second tourmenteur pour nos pauvres Laurel et Hardy.

Pour sa deuxième présence au TNM après L’idiot, la metteure en scène Catherine Vidal a choisi de jouer à fond la carte humoristique, notamment avec des projections en fond de scène qui montrent les acteurs dans des costumes et des poses on ne peut plus ridicules. L’idée est brillante et ajoute ce qu’il faut d’huile à cette tragédie comique. Sans les nombreux éclats de rire partagés, les spectateurs auraient passé une soirée autrement aride face à ce texte par moments déroutant, avec sa structure en poupées russes et ses perpétuels travestissements de la vérité (ou du mensonge, qui sait ?).

L’Amérique va mal, on le sait. Pour un soir, mieux vaut peut-être en rire.

Consultez le site de la pièce 
Abraham Lincoln va au théâtre

Abraham Lincoln va au théâtre

Texte de Larry Tremblay, mise en scène de Catherine Vidal. Avec Luc Bourgeois, Mani Soleymanlou, Bruno Marcil et Didier Lucien.

Au Théâtre du Nouveau Monde, Jusqu’au 8 avril

7,5/10