Près de 10 ans après avoir placé George Feydeau au cœur du spectacle Le prince des jouisseurs, Gabriel Sabourin récidive avec Pif-Luisant, pièce articulée autour de la vie, mais surtout de l’œuvre maîtresse d’Edmond Rostand.

Comment un homme dont les pièces étaient jusque-là reçues tièdement a-t-il pu accoucher de Cyrano de Bergerac, un des plus grands chefs-d’œuvre de la dramaturgie française ? Que s’est-il passé dans la vie d’Edmond Rostand pour qu’à 29 ans jaillisse ainsi le génie ? Où a-t-il trouvé la matière pour l’inspirer ?

Ces questions sont au cœur de Pif-Luisant, nouvelle pièce que Gabriel Sabourin consacre au père de Cyrano de Bergerac et présentée au Rideau Vert. « Je me suis penché sur l’année qui a précédé l’écriture de ce chef-d’œuvre pour imaginer ce qui a pu se passer dans la vie de l’auteur. Pour moi, c’était clair : pour écrire d’aussi belles lettres d’amour que celles qui se retrouvent dans Cyrano de Bergerac, il fallait qu’Edmond Rostand aime lui aussi. »

C’est une anecdote véridique qui a semé la graine de l’inspiration dans la tête de l’acteur, dramaturge et scénariste québécois.

J’ai découvert qu’Edmond Rostand avait déjà écrit des lettres d’amour pour aider une autre personne à déclarer sa flamme. Or, la bien-aimée qui a reçu ces lettres est tombée amoureuse de celui qu’elle pensait être l’auteur. Et c’est là la grande injustice. Ce sont les mots de Rostand qu’elle aimait…

Gabriel Sabourin

Gabriel Sabourin a donc décidé de creuser ce filon pour écrire sa pièce. Rostand aurait aimé sans l’être en retour. « Est-ce un sacrilège d’imaginer que tout ceci a pu se passer, d’imaginer comment cette histoire de lettres a pu servir d’inspiration pour Cyrano de Bergerac ? On sait que de Bergerac a réellement existé – il est mort en 1655 –, mais la Roxane de la pièce est un personnage fictif. J’ai donc imaginé une Marie-Anne qui serait l’amour secret d’Edmond. »

« En plus, j’ai découvert que Rostand se faisait appeler “pif luisant” à l’école, dit l’acteur. Il ne devait pas se trouver beau. » À l’image de son Cyrano !

PHOTO TIRÉE DE WIKIPEDIA

Edmond Rostand

Pour incarner Edmond Rostand, le metteur en scène Stéphane Brulotte s’est tourné vers Olivier Morin. Roger La Rue incarne le père Rostand, Marie-Hélène Thibault, la domestique Madame LeGuet, et Gabriel Sabourin, son mari. Élodie Grenier et Jean-François Pronovost complètent la distribution.

Des morceaux de Cyrano

En plus de broder autour de la vie d’Edmond Rostand, Gabriel Sabourin a décidé d’inclure dans sa pièce quelques morceaux de la plus célèbre pièce du dramaturge français.

« J’ai joué le comte de Guiche dans la production présentée au TNM en 2014 et j’ai réalisé que je devais ajouter à ma pièce des morceaux de Cyrano de Bergerac. Il y a tellement de génie là-dedans. D’ailleurs, à la première de la pièce en 1897, il y a eu une ovation d’une heure – une heure ! – à la fin de la représentation. Le succès a été instantané ; Rostand a même reçu la Légion d’honneur ! »

Seulement, ce génie pose un sacré défi à Gabriel Sabourin : celui d’écrire des mots qui ne pâliront pas aux côtés de ceux tirés de Cyrano. Car son Edmond sème l’alexandrin et la rime à tout vent, au point de taper sur les nerfs de ceux qui l’entourent. « Ce n’est pas si simple pour moi qui n’ai pas nécessairement de facilité avec la musique des alexandrins. »

Mais qu’est-ce qui incite tant Gabriel Sabourin à revisiter ainsi la vie des grands auteurs dramatiques ?

Feydeau et Rostand sont des personnages dont j’admire le génie. Leur façon de raconter une histoire m’inspire. Comme acteur, ça m’inspire aussi. Mon jeu est nourri par l’écriture. Quand je joue, je suis plus sensible aux intentions de l’auteur.

Gabriel Sabourin

En ce qui concerne la position qu’occupent les classiques sur nos planches à l’heure actuelle, Gabriel Sabourin estime que ces pièces sont « le best of de centaines d’années de théâtre mondial ». « Shakespeare ou Molière ont su trouver l’équilibre pour rendre leur œuvre universelle. Peu d’auteurs y sont parvenus. Il faut donc continuer à la jouer, sans pour autant ne jouer que cela. Avec Michel Tremblay, Michel Marc Bouchard, Marie Laberge ou Carole Fréchette, on est en train de se construire notre propre dramaturgie en accéléré. C’est primordial. Mais il ne faut pas oublier ceux qui ont su traverser l’épreuve du temps. »

Il poursuit : « C’est le fun comme Québécois de pouvoir s’approprier les auteurs français sans avoir de complexes. J’ai osé m’attaquer à ce monstre qu’est Cyrano et j’y suis allé avec toute ma fougue. »

Pif-Luisant, au Rideau Vert, du 14 mars au 15 avril

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