« La vie est un emprunt perpétuel », s’exclame Mercadet dans Le faiseur. Ce spéculateur rusé, mais ruiné, ne vit que pour une seule et unique chose : faire de l’argent. Toujours plus d’argent ! Pour cela, le financier va entraîner son entourage dans son délire de richesse sans fin.

Tel un croisement entre Elon Musk et Vincent Lacroix, avec du charisme en prime, monsieur Mercadet est un manipulateur né, à la personnalité narcissique. Un homme qui se sert de sa fortune pour cacher son immense vide intérieur. Balzac a écrit Mercadet ou Le faiseur en 1840. Près de deux siècles plus tard, la pièce reste terriblement actuelle. Elle fait l’objet d’une adaptation contemporaine signée Gabrielle Chapdelaine, dans une mise en scène audacieuse d’Alice Ronfard, au Théâtre Denise-Pelletier.

Au début de la représentation, on reste surpris en découvrant cette production. Et il nous a fallu quelques minutes pour nous adapter à la proposition de Ronfard, à son ton vaudevillesque, voire caricatural. Les interprètes jouent dans une scénographie épurée et moderne, réalisée par le talentueux concepteur Gabriel Tsampalieros. Un décor fort beau, mais dépourvu d’accessoires. Les acteurs disent leurs répliques en les chorégraphiant, en appuyant leur jeu d’une gestuelle bédéesque. Un bruitage sonore vient suggérer la manipulation des objets. La mise en scène sollicite constamment l’attention du public.

PHOTO DAVIS OSPINA, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

La pièce Le faiseur est défendue par une distribution solide. De gauche à droite : Charlie Monty, Alexandra Gagné-Lavoie, Karine Gonthier-Hyndman, Christophe Payeur et Alex Bergeron.

Une distribution de haut vol !

Dans le rôle de Mercadet, Alex Bergeron est génial ! Avec son jeu à la fois physique et rempli de finesse, le comédien nous fait entrer dans la psyché de cet arnaqueur que ses créanciers n’arrivent pas à détester. Peu à peu, Bergeron transforme la légèreté morale de Mercadet. Il expose ses failles. Son désespoir. Sa peur du vide. Son immense mépris des pauvres nourri par le vertige de sa cupidité.

L’élégante madame Mercadet est jouée par l’irrésistible Karine Gonthier-Hyndman. La comédienne nous happe aussitôt qu’elle met les pieds sur scène. Cette fabuleuse actrice arriverait à nous captiver en lisant sa liste d’épicerie… Dans le rôle de Julie, la fille des Mercadet, à la fois immature et critique de ses parents, Alexandra Gagné-Lavoie est une révélation. La jeune comédienne a fait réagir les spectateurs, à quelques reprises vendredi dernier, par son sens du comique. Mentions spéciales au « crypto-bro » de Christophe Payeur, ainsi qu’au chum comptable agréé de Julie, Minard, interprété avec brio par Maxime-Olivier Potvin.

PHOTO DAVIS OSPINA, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Alex Bergeron, Karine Gonthier-Hyndman et Annette Garant sur la scène du TDP

Si Le faiseur demeure une comédie pour jeune et moins jeune publics, son évocation des dérives du capitalisme financier, sa démonstration du grand vide d’une humanité où tout n’est que marchandage, sa vision surréaliste de notre monde porté par l’appât du gain, illusionné par l’argent, donnent à cette adaptation des airs de dystopie. Car ce texte a de quoi nous faire réfléchir…

Qui sait : peut-être vaut-il mieux être pauvre et lucide, que riche et malade ?

Le faiseur

Le faiseur

Texte de Balzac. Adaptation de Gabrielle Chapdelaine. Mise en scène par Alice Ronfard.

Au Théâtre Denise-Pelletier., Jusqu’au 18 février.

7/10

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