L’amour du théâtre arrive parfois par une voie insoupçonnée. Pour Irdens Exantus, acteur québécois d’origine haïtienne, cette passion est née entre les murs d’une église protestante du quartier Ahuntsic-Cartierville, où il a grandi.

L’acteur qui tient le rôle principal dans la pièce Dix-quatre à La Licorne raconte : « J’ai grandi à l’église et il y a quelque chose de très théâtral dans le prêche du pasteur. La communauté haïtienne a aussi un côté très théâtral ! »

Dans cette église où Irdens Exantus jouait aussi de la musique – du saxophone et du piano – a germé un rêve : celui de faire comme ses inspirations de l’époque Denzel Washinton, Will Smith ou encore Didier Lucien, lui qui brillait alors dans la série Dans une galaxie près de chez vous.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Didier Lucien sur le plateau du film Dans une galaxie près de chez vous 2, en 2007

Voir un jeune acteur racisé qui me ressemblait physiquement, qui était drôle et que les gens aimaient, ç’a eu un grand impact. J’admire les comédiens qui demeurent très proches de leur afrodescendance et qui restent intègres.

Irdens Exantus au sujet de Didier Lucien

La vie lui donnera un gros coup de pouce pour atteindre son but : malgré son absence de formation, le réalisateur Philippe Falardeau le choisit pour incarner Souverain Pascal dans le film Guibord s’en va-t-en guerre. Sa performance lui vaudra le prix du meilleur acteur de soutien au gala du cinéma québécois de 2016. « Guibord a confirmé que l’art était plus qu’un passe-temps pour moi. Ce rôle a changé ma vie », estime l’acteur de 28 ans.

Didier Lucien lui a donné un coup de main pour ses auditions d’entrée à l’École nationale. C’est également lui qui met en scène la pièce Dix-quatre. « Irdens est le jeune acteur le plus doué que j’ai jamais coaché. Il est travaillant et il t’en donne toujours plus que ce que tu lui demandes. Quand j’ai commencé à travailler sur la pièce Dix-quatre, Irdens était encore à l’école, mais je savais que c’est lui que je voulais. »

Dans Dix-quatre, Irdens Exantus incarne Colin, un romancier embauché pour écrire une série télé policière avec trois collègues. Or, l’ambiance au sein du groupe se fissure lorsque la réalité, pas toujours aussi lisse qu’à la télévision, s’immisce dans leur processus créatif.

« Lorsque j’ai terminé la lecture de la pièce, je me suis dit : c’est tellement d’actualité. L’auteur Jason Sherman parle vraiment de notre société en abordant des questions comme la diversité, la place des femmes, le profilage racial, notre rapport au pouvoir, la notion d’intégrité. C’est fait avec finesse. Il y a beaucoup d’humour, mais on voit aussi la grosse réalité laide telle qu’elle est aujourd’hui. On a accès à ce que les gens disent dans leur salon, mais qu’ils n’osent pas nécessairement dire dans l’espace public. C’est un spectacle important. »

Le projet fait vibrer des cordes très personnelles chez le jeune homme. « Ça réveille des petites blessures en moi, dans ma réalité de jeune Québécois racisé. Mais ça touche aussi mon côté militant qui veut changer les choses sans savoir quelle est la meilleure façon. Faut-il attendre et grimper doucement les échelons ou défoncer des portes en parlant plus fort ? Jusqu’où faut-il entrer dans un système pour espérer le changer ? »

L’acteur estime qu’au-delà de la question de la diversité sur les planches et à la télé, il est temps de faire de la place aux histoires des diverses communautés du Québec. « C’est important de pouvoir raconter sa propre histoire. Je me vois bien écrire un jour, pour donner envie à d’autres de raconter leur histoire à leur tour, jusqu’à ce qu’on ait un grand dramaturge ou un grand réalisateur d’origine haïtienne ! »

PHOTO FOURNIE PAR RADIO-CANADA

Irdens Exantus dans la série Larry, avec Benoît Gouin

Beaucoup en deux ans

D’ici à ce qu’il prenne la plume, Irdens Exantus profite des beaux projets qui s’offrent à lui. Il cite l’exemple de la série Fragments, présentée à ICI Tou.tv, dans laquelle il campe Édouard Bibeau, un jeune artiste visuel qui se cherche. « C’est un tournage qui m’a fait grandir comme personne. Je sais que ça va rester marquant dans ma vie. »

Il tient aussi un rôle principal dans la série Larry (aussi à ICI Tou.tv) et sera de la distribution de Haute démolition, adaptation du roman de Jean-Philippe Baril Guérard attendue au printemps à Séries Plus. Au théâtre, il fera partie de Rome, qui rassemble en un seul spectacle les cinq pièces romaines de Shakespeare.

Bref, son curriculum vitœ est impressionnant pour un jeune sorti de l’école il y a à peine deux ans, en pleine pandémie. Dire que, pendant cette pandémie, il a eu un moment de doute : « Je travaillais dans un centre jeunesse comme agent d’intervention. Aider donnait un sens à ma vie. Je me suis demandé si je devais me réorienter, mais j’ai réalisé que je tomberais malade sans arts dans ma vie ! »

Dix-quatre est présentée du 17 janvier au 25 février à La Licorne.

Consultez le site de la Licorne