Martin Drainville reprend pour la scène le rôle de François Brochu, l’émouvant propriétaire d’une station-service au cœur du film de Louis Bélanger Gaz Bar Blues. Un rôle qui fait vibrer plusieurs cordes sensibles chez cet acteur, fils d’ouvrier et père de famille.

Martin Drainville le sait. Endosser le rôle de François Brochu, superbement défendu au cinéma il y a 20 ans par Serge Thériault, reste une entreprise risquée.

Pourtant, il n’a pas hésité une seconde à accepter. « Il va y avoir des comparaisons, forcément, mais je me sentais une légitimité à reprendre ce rôle. Je suis père de deux garçons de 22 et 16 ans ; j’ai vécu la monoparentalité pendant un moment. Je connais la vigilance permanente que la paternité exige ! Je sais ce que c'est, se demander si on fait les choses comme il faut… »

Le comédien polyvalent qu’on a vu sur les planches dans Broue, mais aussi dans le drame Les Hardings, se reconnaît dans les habits de ce père inquiet de mener ses enfants à bon port. « Être parent, c’est pousser ses enfants hors du nid, mais on se demande souvent s’ils ont assez de plumes ! »

Surtout, il connaît bien ces hommes (et ces femmes) du milieu ouvrier, qui bossent dur pour leur famille. « Je viens de ce milieu-là. Mon père a travaillé toute sa vie dans une usine d’électroménagers. Il cumulait souvent deux ou trois jobs en plus de rénover la maison avec ma mère. Mes parents ont travaillé très fort pour que le sort de leurs enfants soit meilleur que le leur. »

La metteuse en scène Édith Patenaude vient aussi d’un milieu ouvrier – son père était camionneur, sa mère, secrétaire. Pour elle et pour David Laurin, codirecteur artistique chez Duceppe, aussi responsable de l’adaptation de la pièce, le nom de Martin Drainville est le seul qui a été évoqué pour tenir le rôle de François Brochu.

Martin est un grand acteur qui porte en lui une grande sensibilité. Son personnage est tout en retenue ; il devait être porté par un acteur entier et humble dans la performance.

Édith Patenaude, metteuse en scène

Martin Drainville a grandi auprès d’un père qui, comme François Brochu, est un homme de peu de mots. « Je connais bien ces pères un peu complexés du langage, travaillants, serviables, mais qui sont tout étonnés quand on les remercie. Ce n’est pas leur rôle de catiner, ils ne sont pas outillés pour exprimer leurs sentiments, mais si tu sais décoder leurs demi-phrases, tu l’as, ta tape ou ta bine sur l’épaule. Ces pères-là parlent surtout avec des gestes. »

Et ces pères-là l’émeuvent au plus haut point. En incarnant François Brochu, il espère notamment leur donner la parole. « Ces hommes et ces femmes-là qui, en apparence, n’ont rien à dire, ils ont tant à nous apprendre. J’ai envie de parler pour eux. Ces gars-là, qui ne sont peut-être pas capables d’épeler ou de dire tel ou tel mot, ils sont remplis de gros bon sens. Ils ont une intelligence du cœur. Des fois, on les regarde un peu de haut, on rit d’eux. Et ils laissent faire parce qu’ils ne sont pas trop orgueilleux. Mais on ne devrait pas. »

Il s’arrête, ému.

« Gaz Bar Blues est une pièce sur des gens qui s’aiment et qui ne sont pas capables de se le dire. Je pense que Louis Bélanger a fait ce film pour dire à son père qu’il l’aimait. Et je vais me servir de ce que je fais dans cette pièce pour dire au mien que je l’aime. »

Quand la modernité frappe

L’action de Gaz Bar Blues se passe à Limoilou, en 1989. Mais selon Martin Drainville, l’histoire pourrait se déployer dans plusieurs villes et villages du Québec, y compris dans celui où il a grandi, à L’Assomption. « Avant l’arrivée de la salle de spectacle Hector-Charland, c’était la shop qui dictait le rythme de la vie. Mais la shop a fini par fermer… Dès que la classe ouvrière revendique ses droits, les multinationales ferment les usines pour les changer de place. »

Dans la pièce, François Brochu sait aussi que ce n’est qu’une question de temps avant que son gaz-bar ne disparaisse, avalé par la modernité qui prend ici les allures des libres-services. C’est pourquoi il souhaite autre chose pour ses enfants, sans trop savoir ce que la vie leur apportera.

Gaz Bar Blues en répétition
  • Miryam Amrouche, qui interprète la fille de François Brochu, partage un moment de complicité avec Martin Drainville.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Miryam Amrouche, qui interprète la fille de François Brochu, partage un moment de complicité avec Martin Drainville.

  • Steven Lee Potvin incarne Guy, le fils musicien.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Steven Lee Potvin incarne Guy, le fils musicien.

  • Presque tous les interprètes, notamment Claude Despins, jouent de la musique dans la pièce.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Presque tous les interprètes, notamment Claude Despins, jouent de la musique dans la pièce.

  • La metteuse en scène Édith Patenaude (au centre) fait part de ses observations aux acteurs Martin Drainville et Frédéric Lemay.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    La metteuse en scène Édith Patenaude (au centre) fait part de ses observations aux acteurs Martin Drainville et Frédéric Lemay.

  • La musique joue un rôle prépondérant dans l’adaptation théâtrale de Gaz Bar Blues.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    La musique joue un rôle prépondérant dans l’adaptation théâtrale de Gaz Bar Blues.

  • Francis La Haye (à gauche) porte le double chapeau de batteur et d’interprète. On le voit ici avec Miryam Amrouche.

    PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

    Francis La Haye (à gauche) porte le double chapeau de batteur et d’interprète. On le voit ici avec Miryam Amrouche.

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Le père de Martin Drainville, lui, ne savait pas que son fils – étudiant en sciences pures – cassait la baraque semaine après semaine dans une ligue d’improvisation (dans laquelle jouaient aussi Michel Courtemanche, Claude Legault et notre collègue Yves Boisvert). « Mon père a fini par s’en apercevoir, un peu comme François Brochu découvre que son fils fait de la photo et que son autre fils joue de la musique, et pas à peu près », dit l’acteur.

La musique occupe une place prépondérante dans la production théâtrale de Gaz Bar Blues. « David Laurin a eu l’idée d’intégrer un band de blues à la pièce, explique Édith Patenaude. Cet élément musical permet de proposer une autre version qu’au cinéma. Tous les acteurs sont de très bons musiciens amateurs. Le band exige d’eux un grand investissement, ce qui a créé une belle solidarité entre les membres. Une solidarité qui fait écho à celle qui se crée autour du gaz-bar. »

Martin Drainville salue aussi la place centrale qu’occupe la musique dans la pièce. « Le blues, c’est très ouvrier, très sale. C’est une musique très, très humble, qui porte sa part de souffrance et de combats, mais aussi d’espoir. L’espoir de voir David vaincre Goliath… »

Gaz Bar Blues est présentée chez Duceppe du 18 janvier au 18 février. La pièce partira ensuite en tournée dans plus de 20 villes du Québec.

Consultez le site de la pièce