Le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) a dévoilé mercredi un court film qui documente son projet de francisation de nouveaux arrivants, mené avec le Centre CARI Saint-Laurent et le Centre Yves-Thériault, autour de la pièce Cher Tchekhov, de Michel Tremblay.

La projection avait lieu au Centre CARI Saint-Laurent en présence de nombreux participants au projet Dialoguer avec Michel Tremblay, fébriles de voir le résultat de ces six semaines de travail… et de jeu.

Des gens de tous les âges et de toutes les origines, qui ont d’abord vu la pièce Cher Tchekhov au printemps, qui ont ensuite visité les coulisses du théâtre et qui ont participé à plusieurs ateliers visant à se mettre la langue de Tremblay « en bouche ». « Même si on a l’impression d’avaler les mots », nous dit Thoa, d’origine vietnamienne. Le groupe a tout de même appris à dire le mot « pantoute » de façon assez fluide, nous dit-on.

Ils ont poussé l’audace en recréant la table familiale que l’on retrouve dans la pièce de Tremblay, et en écrivant collectivement de nouveaux dialogues (quelques scènes, en tout cas), qu’ils ont enfin interprétés (mais qu’on ne voit pas dans le documentaire d’une quinzaine de minutes).

« Le fait d’écrire un texte, de le répéter, de le mémoriser et de le jouer est une façon extraordinaire d’apprendre le français tout en valorisant la créativité et en brisant la peur », nous dit Claudia Bilodeau, responsable de la médiation culturelle au TNM, qui a mené le projet avec Nafila Karatas, d’origine turque, conseillère en intégration sociale au Centre CARI.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Quelques-uns des participants au projet Dialoguer avec Michel Tremblay : Thoa, Abdul, Erika, Jacqueline et Mourad.

Michel Tremblay a trouvé le résultat « passionnant ». Les commentaires des participants (dans le documentaire et durant le dévoilement), eux, sont éclairants. « Dans le jeu, on est tous sur un pied d’égalité », dira l’un d’eux. « On pouvait rire de soi-même, rire des autres. » « Je me suis sentie comme un enfant, c’est par le jeu qu’on apprend quand on est petit, non ? » « J’ai pu être moi-même ! » « J’ai découvert une autre personne en moi, plus folle. » « On n’est pas seuls à avoir peur et on apprend comment les autres gèrent leur peur. »

Apprendre à se découvrir

Dans l’assistance, un peu à l’écart, nous faisons la connaissance de Dala Alrahbi, d’origine syrienne, au Québec depuis près de quatre ans. Elle a suivi le projet avec intérêt – sans y participer. Elle a elle-même une formation d’actrice de l’Institut des arts dramatiques de Damas. Elle a écrit et réalisé plusieurs films et séries.

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L'auteure et cinéaste Dala Alrahbi, originaire de la Syrie.

Selon elle, ce projet d’intégration par le théâtre permet aux gens de « mieux se découvrir » en « jouant un personnage ». « Le théâtre est une occasion de se libérer de soi-même », dit-elle.

Alba Belloso, arrivée ici du Venezuela il y a trois ans et demi, abonde dans son sens.

C’est aussi une occasion pour chaque immigrant de découvrir son talent à un moment difficile où il a perdu ses repères. Dans un projet comme celui-là, on est tous égaux.

Alba Belloso

Claudia Bilodeau le résume bien dans le documentaire : « Les adultes ont souvent à être sérieux, à bien paraître. Là, ils peuvent lâcher leur fou, être eux-mêmes, même si ironiquement ils interprètent un personnage. On voit les gens tels qu’ils sont vraiment. Dans un contexte où ils ont moins peur. Ils ont droit à l’erreur, ils ont le droit de rire. »

Aller au théâtre

Le projet a donné envie à certains de fréquenter les théâtres. Abdul, d’origine éthiopienne, a même eu envie d’en faire ! Et Mourad, qui a quitté son Maroc natal il y a environ quatre ans, s’est rendu compte que « ce n’est pas si facile que ça de jouer dans une pièce… », se réjouissant de mieux comprendre le « processus de création ».

Jacqueline Romano, une Égyptienne établie au Québec depuis des années, a joué un rôle de « passeur » auprès des participants. « Je suis une habituée du théâtre, dit-elle, et tout mon argent va dans la culture. Je suis profondément émue de voir le résultat de l’intégration des immigrants par [l’entremise] du théâtre. Les gens s’abandonnent, ça crée des liens, c’est vraiment un projet génial. »

Quant au TNM, espère-t-il amener un peu de diversité dans son théâtre grâce à de tels projets ? « Ce n’est pas notre objectif, répond Claudia Bilodeau, même si on espère bien sûr donner le goût aux gens de venir au théâtre. La diversité, on la construit beaucoup avec les matinées scolaires, parce qu’elle est très présente dans les écoles. Notre objectif demeure de mettre le théâtre au service de l’apprentissage de la langue française. Et d’accueillir les gens, par l’entremise de notre culture. »

Regardez le documentaire