Les habitués des palais de justice vous le diront : il se joue chaque jour dans les salles des tribunaux de tristes comédies et de grands drames où l’humanité est souvent mise à mal. Si plusieurs procès sont de peu d’intérêt pour la majorité, d’autres ont le pouvoir de changer le cours de l’histoire.

C’est à quelques-uns de ces procès marquants pour la société québécoise qu’est consacré Verdict, spectacle théâtral présenté à Montréal puis en tournée au Québec jusqu’à l’automne 2023.

Le principe derrière cette production imaginée par deux documentaristes et auteurs passionnés d’histoire judiciaire, Nathalie Roy et Yves Thériault, est simplissime, mais néanmoins génial, soit recréer sur scène les grandes plaidoiries qui ont marqué nos tribunaux. Les auteurs ont choisi trois affaires qui ont secoué le Québec : la poursuite intentée contre le DHenry Morgentaler en 1973 pour avortements illégaux, le procès pour faire reconnaître le droit au mariage pour les personnes de même sexe en 2001 et l’enquête publique du coroner sur la mort de Joyce Echaquan à l’hôpital de Joliette en 2020.

Une quatrième affaire vient s’ajouter pour clore le spectacle. Nous y reviendrons.

Que ceux qui se souviennent des Grands Procès, présentés à TVA dans les années 1990, se détrompent tout de suite. On n’a pas affaire ici à de vastes reconstitutions historiques : pas de décor, pas de costume, pas d’accessoires. Et personne pour incarner le témoin X ou l’expert Y. La scène est entièrement occupée par deux avocats en toge incarnés par deux comédiens qui doivent savoir manier le verbe avec aplomb, car tout ici repose sur leurs épaules.

PHOTO PAUL DUCHARME, FOURNIE PAR AGENTS DOUBLES

Paul Doucet incarne tour à tour les avocats Jean-François Arteau et Jacques Larochelle.

Or, la production a fait mouche en choisissant Marie-Thérèse Fortin et Paul Doucet, deux interprètes capables de nous émouvoir, de nous faire rire et, surtout, de nous convaincre du bien-fondé de leur discours, et ce, sans user d’aucun artifice, si ce n’est un regard de biais jeté à la partie adverse, un sourcil soulevé par le doute, une pause judicieusement appuyée…

L’art oratoire tel que le pratiquent les avocats lors des plaidoiries est un exercice de haute voltige, où le moindre détail peut faire basculer la décision d’un jury. Il fallait pour leur rendre justice deux interprètes de très grand calibre…

En ce sens, Verdict est un spectacle fascinant, qui nous fait découvrir de grands plaideurs très en verve, dont le nom ne dit pas grand-chose au commun des mortels : MJacques Larochelle, MClaude-Armand Sheppard, MJean-François Arteau. Seule exception : MAnne-France Goldwater, bien connue du grand public, que Marie-Thérèse Fortin a su personnifier avec juste assez de couleur, mais sans verser dans la caricature. Les mots utilisés par ces avocats sont restés les mêmes en passant du palais de justice à la scène. Le propos a été condensé, mais l’essence de chaque plaidoirie a été gardée.

Le choix judicieux des causes présentées est aussi à souligner. Si les deux premières — dont le dénouement est connu — nous font apprécier le chemin parcouru par la société québécoise depuis 50 ans, l’affaire Joyce Echaquan met la loupe sur les injustices qui perdurent encore aujourd’hui. C’est de loin la plaidoirie la plus difficile à entendre, la plus remuante. Le théâtre est là notamment pour soulever la poussière qui se pose trop souvent sur notre conscience collective. En ce sens, Verdict est sans conteste une matière théâtrale qui force la réflexion.

Le spectacle se termine par une cause qui tient davantage du fait divers, celle d’un homme accusé en 2008 du meurtre d’un policier lors d’une intervention des forces de l’ordre chez lui. Ici, le public a droit aux plaidoiries de la couronne et de la défense dans cette affaire où rien n’est tout blanc ou tout noir. L’accusé est-il coupable ? A-t-il agi en légitime défense ? Ce sera au public de se prononcer.

L’exercice, quoique très divertissant, sert aussi à nous rappeler combien le rôle de juré est lourd de responsabilités. Dans Verdict, personne n’est emprisonné ou relâché lorsque le rideau tombe. Ça reste du théâtre. Du très bon théâtre, même.

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Verdict

Verdict

Adaptation de Nathalie Roy et Yves Thériault, dans une mise en scène de Michel-Maxime Legault.

Avec Marie-Thérèse Fortin et Paul Doucet.

Au Gesù à Montréal et en tournée dans plusieurs villes du Québec.

8/10