Avec la mort mardi du metteur en scène André Brassard, c’est toute la communauté théâtrale du Québec qui est orpheline, comme en témoignent plusieurs de ses collaborateurs et amis.

« André et moi avons vécu beaucoup de choses ensemble », dit la metteure en scène Alice Ronfard. « Je voulais être là jusqu’à sa dernière respiration et c’est ce qui s’est produit. C’est presque impossible d’énumérer tout que ce qu’il a apporté au théâtre québécois. Il l’a complètement renouvelé. Le milieu lui doit beaucoup. »

Elle poursuit : « On a travaillé ensemble pendant 7 ans à l’École nationale de théâtre dans les années 90. Comme enseignant, il cherchait toujours à ouvrir des portes chez ses étudiants. Il soufflait sur les braises pour réveiller le feu… Après son AVC, en 1999, il souffrait beaucoup de ne pas pouvoir être en salle de répétition avec les acteurs et les actrices qu’il adorait… Il était très intelligent. Avec lui, il ne fallait pas dire de conneries ! La franchise et l’humour n’étaient jamais loin. »

« On a aussi partagé plusieurs beaux moments lors du projet La traversée du siècle que j’avais amorcé avec lui. On s’est vu pendant toute la pandémie, en vrais délinquants, sans masque ! Sa concentration était moins grande, mais on a pu parler. Et pleurer ensemble. C’était un homme magnifique et complexe qui est devenu, lors de ses derniers temps, d’une douceur et d’une compassion hallucinantes. »

« Dans le cas d’André Brassard, le mot “génie” n’est pas trop gros, lance de son côté la comédienne et directrice artistique du Rideau Vert Denise Filiatrault. Je l’ai connu quand il avait 21 ans, au même moment que Tremblay. Je voulais lui parler de la pièce Les belles-Sœurs que j’avais lue. » La comédienne a endossé le rôle de Rose Ouimet dans la production originale des Belles-Sœurs. Avec le retentissement que l’on sait. Elle était aussi une des têtes d’affiche du film Il était une fois dans l’Est, réalisé par Brassard.

Le Québec peut être fier de lui. C’était un artiste sans compromis, qui savait ce qu’il faisait et avec qui il n’y avait pas de bullshit.

Denise Filiatrault, comédienne

« Comme interprètes, on savait où on s’en allait avec lui. Et on s’amusait. En plus, c’était un garçon très bon, aimable avec tout le monde, mais qui a fini sa vie très seul, sans parents, sans frères ni sœurs, sans enfants. C’est triste. Malgré tout, il a gardé son sens de l’humour jusqu’à la toute fin. Je l’ai vu à l’hôpital il y a deux semaines ; j’étais avec Michel (Tremblay). Michel l’a nourri et André faisait encore des blagues !

Le metteur en scène et comédien René Richard Cyr l’admet sans détour : « Je ne serais pas qui je suis sans André Brassard. Il m’a enseigné à l’École nationale de théâtre et ç’a été pour moi une rencontre foudroyante. Il a fait son crédo de cette phrase de Genet : “Je ne suis pas là pour vous enseigner, mais pour vous enflammer”. Avec lui, les répétitions étaient plutôt des discussions. Il nous obligeait à douter de toutes les réponses, à trouver l’os, à nous connecter à la vraie affaire. Il avait un réel plaisir de la recherche. »

« Il a été un formidable allumeur de conscience qui a stimulé beaucoup de carrières d’acteurs et d’actrices, mais aussi ouvert beaucoup d’horizons. Depuis les actrices des Belles-Sœurs qui étaient fascinées par le gars de 22 ans qu’il était jusqu’à sa dernière cohorte d’étudiants, comme Vincent-Guillaume Otis, il a influencé plusieurs générations d’acteurs, en plus d’être le porte-parole de la culture d’ici. Tout au long de ma carrière, il est demeuré une figure de proue. »

René Richard Cyr a rendu visite à André Brassard à plusieurs reprises au cours des derniers mois. « Après son AVC, il n’a plus eu la même vie. Il a gardé une grande ferveur d’esprit, mais il était emprisonné dans un corps qui l’empêchait de travailler. Sa curiosité lui a permis de vivre 23 ans de plus. Il vivait entouré de livres et de disques. »

Aujourd’hui, c’est à nous d’essayer d’être à la hauteur du géant. On n’y arrivera pas, mais on va essayer.

Le metteur en scène René Richard Cyr

Le dramaturge Michel Marc Bouchard a collaboré étroitement avec André Brassard sur plusieurs de ses pièces, dont Les Feluettes. « André était un mentor, un ami et presque un père artistique. Comme jeune auteur, j’ai eu la chance inouïe d’être pris sous son aile. Il avait le génie du texte et il m’a fait comprendre que c’est souvent dans le doute que se trouve la vérité. »

« Comme metteur en scène, Brassard en imposait par sa franchise. C’était aussi un vrai rebelle, un adolescent rebelle même. C’était sa nature d’être dans la marge. Si on lui disait que le sucre était mauvais, il en prenait deux fois plus ! Il avait une grande sensibilité pour mettre en scène des marginaux. Il était avant-gardiste pour tout ce qui concernait le théâtre LGBTQ, même si le terme n’existait pas à l’époque. Mais surtout, il adorait les actrices. Il a dirigé les plus grandes actrices dans les plus grands rôles. Le spectre des femmes qu’il a dirigées est spectaculaire. »

Violette Chauveau fait partie de ces actrices qui ont travaillé sous la gouverne d’André Brassard, notamment en 1997, lors des Contes urbains. « André était un chercheur de l’âme humaine. C’était quelqu’un d’exigeant, de passionné, de généreux. Il avait une grande intelligence intellectuelle, mais aussi une grande intelligence du cœur. C’est rare qu’on trouve les deux chez la même personne. Il m’a tellement donné ! »

Le Centre national des arts (CNA), dont André Brassard a dirigé le Théâtre français de 1982 à 1990, a annoncé mercredi matin la mise en berne de ses drapeaux pour une semaine.

« Nous nous souviendrons d’André Brassard comme un grand homme de théâtre, a affirmé Christopher Deacon, président du CNA, dans un communiqué. Son originalité, sa vision et sa passion pour le théâtre ont marqué de façon importante le paysage culturel du Québec et du Canada. »

Amités retrouvées

À l’émission Tout un matin, sur les ondes d’ICI Première, le dramaturge Michel Tremblay a rendu hommage à son ami et collaborateur de longue date, malgré le froid qui s’était installé entre eux en 2005 en raison d’un « problème personnel ».

« Je continuais à lui envoyer mes textes, a-t-il dit au micro de Patrick Masbourian. Chaque semaine je lui envoyais ce que j’avais écrit dans la semaine et il me répondait. On a eu des contacts par courriel. Une chance qu’on avait le courriel. »

Michel Tremblay s’était récemment rendu au chevet d’André Brassard, à l’Hôpital Notre-Dame, en compagnie de la metteuse en scène Denise Filiatrault. « On avait l’impression de retourner plus de 50 ans en arrière, a raconté l’auteur des Belles-sœurs à Tout un matin. Ç’a été une rencontre formidable. »

Avec Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse

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