C’est une première : une nouvelle cellule queer et trans pancanadienne d’écriture dramatique a été lancée cette année. Objectif : renouveler et surtout diversifier le répertoire théâtral. En vue, ultimement, de diversifier l’offre. Parce que c’est « vital », plaident les instigateurs du projet, auquel participe un théâtre montréalais. Entretien.

Où est le théâtre queer ? Où sont les pièces et, surtout, les dramaturges issus de la communauté 2SLGBTQ+ ? C’est la question à la base « égoïste » que s’est posée le directeur artistique du Zee Zee Theatre, de Vancouver, en mal de productions, qui est à l’origine de cette initiative inusitée (National Queer and Trans Playwriting Unit).

« Peut-être qu’il y a un problème institutionnel : les théâtres queers ne trouvent pas de pièces queers ! », résume Cameron Mackenzie, au bout du fil, dont le petit théâtre se consacre exclusivement aux « récits de la diversité ».

« Il y a un million de Canadiens qui s’identifient ouvertement en tant que queers, rappelle Cameron Mackenzie. C’est un million de personnes qui bénéficieraient de voir ces histoires, un million de personnes qui ont besoin de se reconnaître sur scène. C’est bon pour l’âme ! »

PHOTO FOURNIE PAR LE ZEE ZEE THEATRE

Cameron Mackenzie, directeur artistique du Zee Zee Theatre, à Vancouver

Le fait de ne pas se voir n’est pas sans conséquence. C’est mauvais pour l’âme ! Si l’on n’offre pas plus de représentation, on fait activement mal à ces populations.

Cameron Mackenzie, directeur artistique du Zee Zee Theatre, à Vancouver

D’où l’idée, appuyée notamment par le Conseil des arts du Canada et la Banque TD, de lancer un appel de candidatures à travers le pays (en anglais seulement) auprès d’auteurs émergents ou non, le printemps dernier. À terme, cinq candidats seront choisis, encadrés, suivis (via Zoom) et surtout payés (un luxe, quand on connaît la précarité de l’industrie), et ce, pendant dix mois. Les noms des lauréats seront connus à l’automne.

Les théâtres participants (dix au total, dont le Buddies in Bad Times Theater de Toronto, le Neptune Theatre de Halifax et Imago Théâtre à Montréal) se sont en prime engagés à produire les pièces issues du projet. Si on espère que le programme sera récurrent, rien n’est acquis pour l’instant.

« On n’a pas hésité, on a dit oui tout de suite », réagit Micheline Chevrier, directrice artistique d’Imago Théâtre. Il faut dire que l’initiative s’inscrit parfaitement dans les « valeurs » et la « mission » de son propre théâtre féministe, au militantisme notoire.

Nous aussi, on cherche à établir une égalité, ou une représentation équitable, sur nos scènes. C’est pour ça que ce projet tombe parfaitement dans nos valeurs.

Micheline Chevrier, directrice artistique d’Imago Théâtre

On le sait, « il y a prédominance de la voix masculine sur les scènes partout dans le monde. C’est international. Une représentation surtout blanche, surtout hétéro, et cela fait longtemps qu’on essaye d’établir une meilleure représentation », rappelle celle qui a pris la relève de l’Imago en 2013 (et qui tire sa révérence à l’automne) pour lui donner ce virage féministe. « Mais encore faut-il avoir des œuvres à présenter ! »

C’est qu’il y a un sacré « cercle vicieux », croit-elle. « Comment encourager une communauté à se développer si elle ne se voit pas, si elle ne se reconnaît pas dans les théâtres ? »

De grands noms au Québec

Certes, au Québec, société distincte oblige, nous avons déjà, et depuis longtemps, de grands noms issus de la communauté gaie montés sur nos scènes les plus prestigieuses. On pense à Michel Tremblay, bien sûr, ou Michel Marc Bouchard. « Mais le théâtre de Michel Tremblay n’est pas nécessairement vu de cette façon-là, croit la directrice artistique. Il a surtout été révolutionnaire au niveau de l’identité québécoise et de l’identité montréalaise. »

Quant à Michel Marc Bouchard, c’est un nom, une vision, « mais l’idée, c’est de permettre aux théâtres d’avoir plus de choix », poursuit Micheline Chevrier. « De ne pas toujours être dans la même conversation. Mais d’avoir une diversité au sein de la conversation ! L’idée, c’est de créer une diversité au sein de la communauté ! Parce que c’est vrai qu’on a beaucoup d’auteurs [au Québec], mais cela ne veut pas dire qu’il y a une grande diversité de représentations. »

Et en quoi cette fameuse « diversité » est-elle si essentielle, au fait ? « Parce que quand tu présentes des œuvres dont la perspective est moins connue, tu entres dans un univers que tu ne connais pas, répond Micheline Chevrier. Ta compréhension du monde s’élargit. Cela crée de l’empathie. De la compréhension des différences, la peur est éliminée, et les préjugés sont éliminés. L’idée, c’est de vraiment comprendre la perspective de tous. »

Et ce faisant, conclut-elle, « le théâtre, pour moi, et l’art en général, est ainsi un instrument qui peut changer le monde ». Une pièce à la fois.

L’avis du CEAD

Gare aux « amalgames », met cependant en garde Sara Dion, conseillère dramaturgique au Centre des auteurs dramatiques (CEAD). « Des sujets queers, il y en a quand même pas mal, des artistes queers aussi. Il faut faire attention de ne pas avoir d’attentes, que les personnes queers écrivent forcément sur les enjeux queers ! » Certes, convient-elle, il est vrai qu’il y a davantage d’hommes queers que de femmes lesbiennes ou de personnes non binaires qui signent aujourd’hui des textes de théâtre. Et non, la « queerisation » n’est pas rendue sur toutes les scènes du Québec. « Mais un changement de garde dans différentes directions artistiques risque de faire bouger les choses », croit-elle.